Image gracieusement prêtée par l'auteur du site http://zenegg.wordpress.com/
Il faudra donc
peut-être bien s’habituer après « la vie sans AAA »[1]
à la vie sans Sarkozy. Avec cinq ans d’arriérés, le petit prince des people vient
de payer la note salée du Fouquet’s et de passer soudainement par-dessus le
bastingage du yacht présidentiel pour boire la tasse comme jamais un président
sortant ne l’avait fait avant lui. Ce gadin magistral est la bonne surprise du
premier tour. On pouvait penser que la campagne, toute de Com’ vêtue et
dégoulinante de pathos de Nicolas Sarkozy pouvait encore convaincre une
majorité d’électeurs de la nécessité de reconduire « en pleine
tempête » notre skipper en chef. Il n’en a rien été et le capitaine a
commencé à sombrer avant le navire ; du moins en est-il réduit maintenant
à adresser des signes d’amitié désespérés aux électeurs de Le Pen ou de Bayrou
pour implorer une bouée de sauvetage que personne ne semble pour le moment
déterminé à lui lancer.
Pour ce qui
est des autres « surprises », seuls quelques éditorialistes
pontifiants qui semblent s’être endormis pendant le film s’étonnent encore du
dégonflage de la baudruche du Front de Gauche ou du score de Marine Le Pen.
« Le succès impressionnant de Marine Le Pen ne met pas en danger la
victoire de la gauche. Il est tout simplement un déshonneur pour la France »[2],
nous rappelle Jean Daniel dans le Nouvel Observateur. Sortez les violons, l’air est connu et les
musiciens un peu usés mais on refera un dernier tour de piste pour faire
plaisir à Mémé. En attendant, les candidats encore en lice ne savent plus comment
s’y prendre pour courtiser le « déshonneur pour la France » et les
malheureux « électeurs empoisonnés ». N’en déplaise à Sophia Aram[3],
ceux-ci ont troqués en un soir le statut de « gros cons »[4]
contre celui d’« électeurs en souffrance ». S’ils ne sont pas trop
stupides, Marine Le Pen ou François Bayrou doivent espérer en secret qu’en
votant massivement François Hollande, tous ces malheureux souffreteux aillent
enterrer le 6 mai l’UMP, dont la disparition serait pour les deux chefs du
Front National et du Modem synonyme d’immenses bénéfices.
Plus que la
percée de Marine Le Pen, l’installation triomphale du candidat du parti
socialiste au premier tour est en elle-même la surprise de ce début
d’élections. Hier soir[5],
il est le premier, dans l’ordre de préséance défini par les résultats, à être
reçu par un Pujadas déférent et affiche la tranquille assurance du favori et le
calme olympien de celui qui a senti le vent du boulet. En conclusion de
l’émission deux heures plus tard, un Franz-Olivier Giesbert intoxiqué au
mitterrandisme s’acharne, entre autres platitudes vociférées à grand renfort de
mouvements de bras et de tignasse, à trouver à François Hollande un petit
quelque chose de Tonton. L’aimable directeur du Point doit faire
souffler, à force de s’égosiller pour imposer ses géniales analyses, un vent si
rafraichissant sur les plateaux de télévisions surchauffés qu’on doit
l’apprécier davantage pour ses qualités de ventilateur que de chroniqueur.
Pour ce qui est de François Hollande, s’il semble incarner la force tranquille, c’est que son adversaire personnifie lui la panique à bord. Le visage encore plus marqué que d’habitude par les tics, le président-candidat a entamé après Hollande ses quarante-cinq minutes d’entretien en coupant directement la parole de ses interlocuteurs pour se focaliser sur son obsession du moment : faire accepter un débat supplémentaire. Ce qui lui semble sans doute être une nouvelle et brillante stratégie de communication lui fait oublier à l’antenne toute mesure : il en rajoute, en fait trop, interpelle, agresse et lasse. Une partie des commentateurs le jugeront, à la fin de l’émission, offensif et déterminé. A le voir s’agiter pendant près d’une heure sur l’écran, esquivant par la mauvaise foi ou le fait divers toute véritable question sur son programme, agressif et méprisant à tel point qu’on se demande comment François Lenglet réussit à garder son calme en face d’un pareil cuistre, Nicolas Sarkozy donne l’image malsaine et pathétique d’un histrion à la fois fuyant et hystérique. Face à ce spectacle, il n’est pas difficile de reconnaître à Hollande des qualités mitterrandiennes. Même Gérard Jugnot pourrait incarner la force tranquille à ce compte-là.
C’est d’ailleurs bien tout le mystère
de François Hollande que d’être, et de n’être, que le candidat des
circonstances. Raillé, moqué, jamais pris au sérieux, le fade premier
secrétaire du PS qui n’est guère plus depuis 2007 dans les esprits que
l’ex-compagnon de Ségolène Royal, s’est vu soudain propulsé sur le devant de la
scène par la sortie de route de la locomotive Strauss-Kahn. Empesé et empêtré
dans sa défroque de Flanby ou de Guimauve le conquérant, il entame un régime
très médiatisé qui prête surtout à sourire pour se lancer, raide et guindé,
dans la course aux primaires qu’il remporte, déjà un peu par surprise et sans
vraiment susciter l’engouement, devant Aubry le pitbull et Montebourg le
démondialisateur. Du moins réussit-il à obtenir un peu plus de légitimité
populaire. Lentement, au cours d’une campagne présidentielle ennuyeuse et
terne, son image se construit, se raffermit en quelque sorte. Il est d’autant
plus étrange que son équipe de campagne ait jugé bon de dénoncer la seule photographie qui semble rendre
vraiment justice au candidat qu’il est devenu aujourd’hui, sur laquelle on voit
un Hollande assis dans un TGV et plongé dans ses dossiers, concentré,
travailleur, le double menton appliqué et la mine soucieuse, une image qui
contraste symboliquement avec l’hypermodernité remuante de son adversaire,
multipliant à tout propos les annonces et les déclarations fracassantes,
hyperactif et complétement déconnecté de la réalité.
Il est vrai
qu’en matière de déclarations fracassantes, Hollande a su rester prudent.
Débarqué à la City, face aux traders inquiets, il rassure et traduit
avec platitude sa raison d’être : « I’m not dangerous », dit-il,
on s’en serait douté. Puis, « mis sur orbite » comme disent les
médias, par son meeting du Bourget qui enfin lui permet de passer pour autre
chose qu’un animateur de salle de Loto pour activité du dimanche au club du
troisième âge, il se permet lui aussi de formuler des projets
incroyables : je supprimerai, annonce-t-il sans peur, le terme race
de la constitution française. Voilà un candidat qui sait pointer du doigt les
problèmes essentiels, Hollande nous démontre au moins ainsi qu’il a bien
compris qu’on peut toujours agir sur l’énonciation quand on n’a pas les moyens
d’infléchir la réalité.
Aujourd’hui
cependant, François Hollande peut remercier les électeurs du Front National de
lui avoir passablement déblayé le terrain. Cette configuration à la fois
avantageuse et inconfortable pour lui, ainsi que la médiocrité survoltée de
celui qui l’avait traité de « nul » au début de la campagne, installe
soudain ce leader presque par hasard de la vaste confédération antisarkozyste
dans une situation historique dont l’ampleur dépasse le personnage. La crise
continue à empoisonner le climat social, l’euro et avec lui tout l’édifice
européen vacille, tout autour de nous, nos voisins grecs, espagnols ou
portugais voient leur économie s’effondrer et le palais de l’Elysée est le lieu
d’une effervescence qui sent la fin de règne. Tout ceci donne à l’inoffensif,
au not dangerous François Hollande une stature inédite qui rappelle un
épisode antique raconté par Suétone : l’accession au pouvoir de l’empereur
Claude, juste après que l’assassinat de Caligula par Chaerea et une dizaine de
conjurés ait plongé l’empire romain déjà éprouvé par les frasques du tyran dans
l’anarchie et la panique :
Renvoyé
avec les autres par les agresseurs de Gaius[6] qui
éloignaient tout le monde sous prétexte que l’empereur voulait être seul, il
s’était retiré dans un cabinet, qui porte le nom d’Hermaeum ; bientôt
après, terrifié par la nouvelle du crime, il se glissa en rampant vers une
terrasse voisine et se dissimula dans les plis de la tenture placée devant la
porte. Un soldat qui courait de tous côtés, ayant par hasard aperçu ses pieds,
fut curieux de savoir qui ce pouvait bien être, le reconnut, le tira de sa
cachette, et, comme Claude, terrifié, se jetait à ses genoux, le salua
empereur. Ensuite, il le conduisit vers ses camarades indécis et se bornant
encore à frémir. Ceux-ci le mirent dans une litière puis, comme ses esclaves
s’étaient enfuis, le portèrent à tour de rôle sur leurs épaules jusqu’à leur
camp, tout consterné et tremblant, tandis que la foule, sur son passage, le
plaignait comme un innocent que l’on traînait au supplice.[7]
L’histoire de Claude est à partir
de là presque exemplaire. Désignée par la soldatesque désorientée comme
empereur après le meurtre fort mal prémédité de Caligula, Claude, qui a
traversé sans encombre le règne de son prédécesseur parce que tout le monde
considérait ce pauvre et chétif bègue comme un inoffensif idiot, se révèle un
des meilleurs empereurs que Rome ait jamais connu. François Hollande a en
quelque sorte plusieurs fois été trouvé derrière un rideau. Après l’orgueilleux
départ de Jospin en 2002, c’est lui qui a la charge de relever un parti
socialiste exsangue. Après la chute de DSK, c’est lui qui s’impose comme
candidat et de concours de circonstance en quiproquo c’est peut-être lui qui
achèvera de faire mordre la poussière à Nicolas Sarkozy le 6 mai. Alors, après
douze ans de Chirac et cinq ans de Sarkozy dont la seule réalisation, après
avoir eu toutes les cartes en main en 2007, aura été de démontrer que l’on
pouvait tomber encore plus bas dans la médiocrité et la vulgarité, vient
soudain un espoir dont Hollande est porteur, bon gré mal gré. L’espoir de faire
durablement bouger les cadres et de susciter un renouvellement politique dont
on n’ose encore espérer qu’il soit salvateur si l’UMP implose. Et l’espoir de
voir François Hollande, trouvé pour la campagne derrière un rideau, passer du
statut de candidat pour rire à celui de chef de l’Etat et se révéler à la fois
habile négociateur, digne représentant, élu responsable et conducteur de la
nation lucide et éclairé. Ce serait, si un tel miracle se réalisait, ce que l’on
pourrait appeler « Le syndrome de Claude ».
Article également publié sur http://hipstagazine.com/
[1]
Challenges. n° 284 du 19 au 25 janvier 2012
[2]
Jean Daniel. « L’avertissement. » Le Nouvel Observateur n°2477.
26 avril 2012
[3]
Amuseuse du XXIe siècle, tendance gros comique et humour en service commandé. A
reçu le prix de l’Idiote Utile 2012.
[4]
Voir la Matinale de France Inter. 26 juin 2011.
[5]
Il est ici fait référence à l’émission de causerie Des paroles et des actes,
animée par David Pujadas, recevant le 26 avril 2012 à partir de 20h30 les deux
candidats à l’élection présidentielle arrivés en tête du second tour, François
Hollande et Nicolas Sarkozy.
[6]
Caligula
[7]
Suétone. Vie de l’empereur Claude. Vie des douze Césars. Folio
classique. Gallimard. 2000. p. 272
FH le leader minimo, le premier dans un concours de circonstances, le cousin fâcheux, le molasson contracté...haaaa, des surnoms, nous en trouverons pas paquets de dix ! Après le félon, le frelon ! Après le teigneux, le crémeux ! Après le fieleux, le mieleux ! Après le vizir sous acide, l'émir sous vide ! Je ne vois vraiment pas en quoi ressembler à Mitterrand constituerait une fierté et devrait donner envie au peuple ! Il n'a trouvé que ça cet imbécile ! Le PS n'est vraiment qu'une caste figée dans le formol, un robinet à cons!!! Sans moi la vitouuaarrr!!!
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