Avant
qu’il ne soit trop tard, et que l’on ne puisse plus utiliser cette belle
expression pour cause de détournement politique, il faut rendre à César ce qui
appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Et, voyez-vous, l’Aube dorée
n’est pas ce à quoi elle renvoie aujourd’hui : un parti néofasciste grec,
mais incarne au contraire l’une des aventures les plus hautes en couleurs du XXè
siècle ; de celle qui, justement, fait se lever l’aube dorée dans le
miroir de l’âme.
Et
lorsque j’ai entendu cette expression, répétée à l’envi depuis quelques
semaines, je me suis pris à rêver d’une nouvelle poétique de l’esprit, car
l’Aube dorée, c’est définitivement une société initiatique anglaise dont le nom
complet suffit à évoquer les chants de l’ailleurs : The Hermetic Order
of the Golden Dawn, le plus souvent appelé The Golden Dawn. Et cette
Aube Dorée vous porte bien plus loin, et bien plus haut, que ces pauvres
diables tirés du cadavre putréfié de l’histoire fasciste.
Nous voulons
évoquer ici sa mémoire avant qu’elle ne s’envole dans le ciel de l’oubli, et
laisse son spectre politique envahir l’espace séculier. L’Aube dorée s’élève
depuis les poèmes de Lord Byron et de William Blake jusqu’au firmament d’une
Angleterre férue de mystères. Née en 1888 par la volonté de deux frères maçons
expérimentés, Wynn Wescott et MacGregor Mathers, elle se donne pour tâche
d’approcher de nouveaux états de conscience à travers la pratique de la
théurgie (« travailler à la connaissance de Dieu »). Dépasser en
quelque sorte la symbolique maçonnique pour toucher du doigt la flamme déposée
au cœur de chaque être, au risque de se brûler l’âme. Très rapidement, ce
groupe initiatique attire tous les esprits originaux de Londres et devient le
catalyseur d’une autre interprétation du monde, celle qui met la raison au
diapason de l’imagination, et le verbe divin au rythme des expériences
magiques.
En
l’espace d’une dizaine d’années, puisque l’Aube dorée entre en turbulence dès
1900 pour s’éteindre en 1905, elle recueille entre ses rangs des écrivains
précurseurs, des mystiques libertaires, des poètes symbolistes et des
occultistes convaincus. Hormis les deux fondateurs, celui qui laissa une
empreinte souveraine sur l’existence de l’Ordre est le poète irlandais William
Butler Yeats, Grand Maître de 1901 à 1903. Dans une atmosphère mâtinée de
recherches ésotériques (kabbale, Rose Croix, hermétisme, alchimie, etc.) et de
volutes décadentistes, Yeats traduit ses aspirations religieuses dans une
langue imagée qui fait resurgir les vieux mythes celtiques. Arthur Machen,
autre membre éminent de l’Ordre, invente la littérature fantastique pour voir
dans Le Grand Dieu Pan la marque terrifiante des anciens dieux oubliés.
Il continuera de puiser, par la suite, dans le répertoire des coutumes et des
légendes du pays de Galles les ferments d’une autre histoire, de celle que
seuls les enfants peuvent encore entendre sous les rayons pâles de la lune. Et
que dire de cet épisode fascinant selon lequel Bram Stocker aurait puisé son
inspiration au contact de Machen et de plusieurs autres
« frères » ; de sorte que Dracula est également l’enfant croisé
de Londres et des Carpates comme l’épilogue du roman invite à le penser.
Il faut
encore évoquer ces deux frères d’esprit, Allan Bennett et Aleister Crowley, qui
se rencontrent sous les colonnes du temple de l’Aube Dorée. Le premier
s’enflamme de drogues hallucinogènes pour créer des rituels grandioses avant de
se retirer dans les plaines de l’Inde et de revêtir la tunique jaune de moine
bouddhiste – ce qui en fera l’un des premiers introducteurs du bouddhisme en
Occident. Le second, placé sous l’influence de Bennett, explore les hauts
grades de l’Ordre et invente son propre système sous le terme magick.
Après avoir parcouru le monde, il fonde l’Astrum Argentinum (1905),
structure initiatique à partir de laquelle il lance son mot d’ordre :
« L’Amour est la Loi. L’Amour soumis à la Volonté ». Il appartient
désormais à chacun de suivre sa propre étoile pour s’éteindre dans le feu éternel
de l’amour. Si l’on ajoute le travail des occultistes (Arthur Edward Waite,
Paul Foster Case, etc.) et des anonymes qui ont partagé cette aventure, l’Ordre
Hermétique de l’Aube Dorée marque bien la naissance d’une nouvelle forme de
mystique, laquelle naît du désir de Dieu et se conjugue avec la liberté, au
risque de se perdre dans les lumières matitunales du huitième climat.
Aussi ne
faudrait-il pas que l’Aube Dorée, quels que soient ses aspects nocturnes et sa
dimension fantasmée, ne s’éteigne dans le crépuscule noir des nostalgiques du
troisième Reich. Sur ce point, il faut bien sûr préciser que le parti
néofasciste grec ne se réfère à aucun moment à l’ordre initiatique dont il
reprend, sans vergogne, le nom. Et l’on se rappellera, comme pour prévenir le
choc en retour, que le Sentier lumineux – autre belle expression – a donné
naissance au mouvement armé le plus meurtrier de l’histoire du continent
américain.
Ci-dessous,
le groupe anglais COIL, digne descendant de Yeats, Bennett et Crowley, qui a
traduit sous la forme électronique les illuminations du chaos. Avec une vidéo
tirée de l’un des films de Kenneth Anger, autre grand amateur d’occultisme.
Un article mystique à retrouver sur http://hipstagazine.com/, confrérie numérique occulte
Merci pour cette recension fort instructive. Mais je m'interroge : le véritable problème de l'auteur n'est-il pas que son imaginaire personnel en matière d'occultisme et de magie noire ne soit souillée par une bande de méridionaux colériques, ivres de rage devant l'afflux de Ghanéens sur leurs côtes couplé à la glaciale autant que cynique pression de capitaux apatrides ? Selon certaines sources, il y a bien une filiation directe entre Aleister Crowley et un dictateur à succès de la première partie du vingtième siècle via la personne de Dietrich Eckart et la société Thulé par ailleurs. Lien non garanti trouvé suite à une rapide recherche : http://occultespionage.50megs.com/whats_new_4.html Monsieur l'auteur, ne vous en déplaise - et sachez bien que je partage votre plus profond désarroi à cet égard - considérant les indicateurs socio-économico-culturello-stratégiques actuels, j'ai bien peur que nous soyons tous, plus ou moins consciemment, à l'Orée de la Daube...(mes excuses)
RépondreSupprimerJolie contrepèterie. Nous sommes honorés d'avoir des lecteurs capables de pousser le calembour jusqu'au niveau des beaux-arts. Pour le reste, l'auteur du texte aura sans doute soin de répondre. On remarquera juste que les mouvements européens soucieux d'affirmer une certaine virilité rhétorique et politique succombent fréquemment à la beauté du diable. Celui-ci ce soucie assez peu de s'en voir souillé.
RépondreSupprimerCrowley a toujours fait l'objet d'un nombre incalculable de fantasmes et de légendes dont, celles, de faire partie tour à tour de l'Intelligence Service anglais, puis du contre-espionnage allemand. Tout cela relève de la légende, comme ses liens présupposés avec Eckart et la société Thulé. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que les sociétés secrètes, occultistes ou non, ont toujours été l'antichambre de manoeuvres politiques plus ou moins avouables. L'Aube dorée, étant donné son existence brève, a sans doute échappée à cela; il reste que Yeats y a bien forgé les fondements de ce qui allait devenir le nationalisme irlandais. Bien à vous cher lecteur.
RépondreSupprimerIl est des choses qui restent écrites et laissent des traces dans l'histoire. Les éléments permettant de relier les divers groupes appartenant à une certaine mouvance théosophique, en vogue depuis le milieu du 19eme, la théosophie, et portée par des poètes, gens de lettres, gens d'église, scientifiques...), ces éléments donc, reliant la Golden Dawn dont faisait partie notre fameux Aleister et La Société de Thulé sont nombreux. Ce sont les théosophes (Viennois) qui font le lien entre le Pangermanisme et la théosophie, et encore eux, dont la célèbre Mme Blavatsky, fondatrice de la Société Théosophique, qui font état de 5 races dans l'histoire mondiale. De là, il ne fallait qu'un pas pour arriver jusqu'à l'Ariosophie.
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