"La plus grande fierté de
l'actuelle administration est la Fête de la Musique, qui tient à la fois d'un
Mai 68 orchestré d'en haut et de la Fête de L'Humanité. L'intention affichée
est de "développer les pratiques musicales" des Français. Il est
difficile d'imaginer une pédagogie plus étrange de l'harmonie et de la mélodie
que ce brouhaha simultané déclenché au même moment dans des villes entières.
C'est en réalité la juxtaposition en public des baffles de chaîne hi-fi et des
micros de walkman. Cet "évènement culturel", objet de sondages,
reportages et statistiques, est une tautologie officielle de la dispersion par
le bruit et le son que la ville moderne n'est que trop portée par elle-même à
imposer à ses citadins. Le testament de Michel Foucault s'intitule : Le Souci
de soi. C'est une belle traduction du cultura animi de Cicéron. Tout musicien
qui a le "souci de soi" et de son art se calfeutre pendant ce tapage
nocturne, de même que tout lecteur digne de ce nom est mis en déroute par la
Fureur de lire et tout ami des tableaux par la Ruée sur l'art. [Je ne crois pas inutile de reproduire en entier ici le texte de
Tocqueville dont j'ai déjà cité un fragment : "La foule croissante des
lecteurs et le besoin continuel qu'ils ont du nouveau assurent le débit d'un
livre qu'ils n'estiment guère. Dans les temps de démocratie, le public en agit
souvent avec les auteurs comme le font d'ordinaire les rois avec leurs
courtisans ; il les enrichit et les méprise. Que faut-il de plus aux âmes
vénales qui naissent dans les cours et qui sont dignes d'y vivre ?"
(Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, II, 15).]
Ce style de "communication sociale",
qui convient à la lutte contre le tabagisme et pour le port de la ceinture de
sécurité, compromet et vide de sens cela même qu'il prétend
"diffuser". Le public de la télévision est à peine effleuré. La
facilité passive et brouillonne est donnée en exemple. Les Comices agricoles de
Flaubert étaient le premier "évènement" culturel que la France
pré-culturelle eût connu."
M. Fumaroli, L'Etat culturel, 1997
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