En 1827, Sir Thomas de Quincey
ajoute une pierre à l’édifice du romantisme noir en publiant De l’assassinat
considéré comme un des beaux-arts, ouvrage que l’on peut considérer comme la
première grande œuvre théorique du romantisme noir. L'assassinat, comme le titre
l’indique, y est considéré pour ses qualités esthétiques et même célébré par
une société d’amateurs éclairés vantant tous les agréments que l’homme de goût
peut trouver dans l’exercice de la tuerie, du massacre et du crime. De nos jours
malheureusement, l’homme de goût qui souhaiterait satisfaire les exigences
d’une sensibilité exquise et morbide en passant son prochain par le fil de
l’épée se verrait immanquablement exposé aux tracasseries en tout genre générées par une législation chicaneuse et une horde de fonctionnaires vétilleux.
Pourtant, le spectacle offert par nombre de personnages désagréables et
d’individus grossiers que nous croisons tous les jours au hasard de nos
déplacements laisse pourtant à penser qu’un petit meurtre de temps à autre,
orchestré avec tact et exécuté avec finesse, contribuerait certainement de
façon significative au maintien du vivre-ensemble.
Cependant, si le permis de tuer n’est plus
accordé aujourd'hui avec autant de libéralité qu’au temps de Thomas de Quincey, notre
société semble s’être reportée sur un autre mode d’exécution qui semble tout
aussi efficace que la suppression physique, à savoir l’exécution médiatique,
pratique dont l’efficacité et le cynique raffinement eurent certainement gagné
l’estime de la société des esthètes de De Quincey. Il y a quelques
semaines, Marie Darrieussecq a ainsi fait avec brio la démonstration que l’on
pouvait fort bien s’acquitter en douceur d’un assassinat radiophonique tout
aussi implacable qu’un bon coup de poignard entre les omoplates. Avec une
meurtrière condescendance, l’auteur de Truismes s’est en effet livré à
un fort civil jeu de massacre sur la personne de l’écrivain Renaud Camus le 3
avril dernier :
Je suis publiée par la même
maison d’édition, P.O .L., qu’un écrivain qui s’appelle Renaud Camus, j’y
suis heureuse comme écrivain, mais je trouve dérangeant d’être dans le même
catalogue que quelqu’un qui prône publiquement, je cite : « la
nécessité de mettre un terme, par toutes mesures appropriées, dans le strict
respect de l’Etat de droit mais quitte à modifier profondément la loi, la
nécessité, donc, de mettre un terme au grand remplacement du peuple français
par d’autres peuples de toutes origines et à la substitution, sur son
territoire même, d’autres cultures et d’autres civilisations, à celle qu’il
avait lui-même portée si haut. »
En l’espace de
trois minutes, Marie Darrieussecq, petit procureur à la voix flûtée et au ton
sec, égrène avec une bonne conscience visiblement satisfaite tous les griefs qui
pèsent sur l’accusé Camus et, en premier lieu, celui de « l’affaire
Renaud Camus » qu’elle exhume pour l’occasion, rappelant que l’écrivain
dans son Journal de 1994 publié chez P.O.L. « compte les juifs de
l’émission Panorama de France Culture. » Poursuivant sa suave
diatribe, Marie Darrieussecq rappelle alors que « quelqu’un qui compte le
nombre de juifs, où que l’on soit, et parce que les nazis les ont comptés et ont
voulu les détruire est quelqu’un qui est disons, au minimum, POTENTIELLEMENT
antisémite ».
On peut s’accorder
ou non avec les thèses défendues par Renaud Camus au sein de son Parti de
l’In-nocence et sa condamnation de ce qu’il nomme « l’immigration de
peuplement ». Marie Darrieussecq a tout à fait le droit de ne pas
partager, voire de condamner ces opinions, de même que Camus peut les exprimer, dans le cadre délimité à la fois par
la loi Gayssot et la tradition pluraliste démocratique française. L’utilisation
que la chroniqueuse de France Culture fait en revanche de « l’affaire
Renaud Camus » est nettement plus condamnable, au moins sur le plan moral.
Il faut en effet rappeler que le but de Renaud Camus dans son journal en 1994
(paru en 2000 sous le titre La Campagne de France) n’était pas de
« compter les juifs », au sens d’une recension ethnique, comme semble
le suggérer Marie Darrieussecq, mais de déplorer la surreprésentation prosélyte
affichée dans une émission à priori non confessionnelle. Il faut, à ce sujet, rappeler
que des intellectuels comme Alain Finkielkraut ou Elisabeth Lévy, se sont à l’époque
élevés contre la cabale médiatique qui s’était ensuivie, et citer à nouveau
le passage incriminé pour mettre suffisamment les choses au clair :
« Les
collaborateurs juifs du Panorama de France-Culture exagèrent un peu tout de
même : d’une part ils sont à peu près quatre sur cinq à chaque émission,
ou quatre sur six ou cinq sur sept, ce qui, sur un poste national ou presque
officiel, constitue une nette sur-représentation d’un groupe ethnique ou
religieux donné ; d’autre part, ils font en sorte qu’une émission par
semaine au moins soit consacrée à la culture juive, à la religion juive, à des
écrivains juifs, à l’État d’Israël et à sa politique, à la vie des juifs en
France et de par le monde, aujourd’hui ou à travers les siècles. » (Renaud Camus. La campagne de France: journal, 1994. Fayard. 2000)
Est-il nécessaire de préciser à la lecture de
cet extrait que la citation et l’interprétation proposées par Marie
Darrieussecq relèvent d’une forme de malhonnêteté intellectuelle qui fait
aujourd’hui toujours autant recette qu’il y a douze ans ? En
réactualisant, avec la subtilité d’un panzer en manœuvre, les accusations
portées contre Renaud Camus et en comparant de fait l’auteur des Demeures de
l’esprit, identifié comme « potentiellement antisémite »,
aux nazis qui comptèrent les juifs pour les exterminer, Marie Darrieussecq ne
se contente pas seulement de récolter avec brio un beau point Godwin en un peu
plus d’une minute de temps de parole sur l’antenne d’une station supposément
dédiée à la culture, elle ouvre également la voie à une nouvelle cabale lancée,
avec toute la fatuité que peut conférer la bonne conscience, contre un auteur
dont l’œuvre mérite certainement plus que l’auteur des Truismes, d’être
distinguée sur le plan littéraire.
Avec la rigueur idéologique que l’on peut
attendre d’un commissaire politique consciencieux, Marie Darrieussecq a échafaudé
une théorie assez simple de l’évolution idéologique de Renaud Camus :
« La suite a malheureusement confirmé que Renaud Camus n’avait pas proféré
là une espèce de provocation politiquement incorrecte un jour en passant, mais
que la graine était là, que c’était un élément d’une pensée qui aboutirait à
son actuel appel à voter MARINE LE PEN. » La démonstration semble
lumineuse en effet : un écrivain a été soupçonné il y a douze ans d’avoir
proféré des propos antisémites après avoir dénoncé ce qu’il identifiait comme
une dérive communautaire sur une antenne culturelle de grande écoute. Même si
un certain nombre d’intellectuels, que l’on peut difficilement soupçonner
d’antisémitisme, sont venus à son secours, Marie Darrieussecq entend donc
démontrer que les accusations, à l’époque formulées par Marc Weiztmann dans les Inrockuptibles,
se trouvent aujourd’hui justifiées par l’engagement de Renaud Camus aux côtés
de Marine Le Pen qui révèle ainsi sa véritable nature de gros con nazi.
On pourrait tout de même répondre à Marie
Darrieussecq qu’une chronique malhonnête ne réécrit pas l’histoire et que, pas
plus qu’hier, une citation sortie de son contexte ne fait de son auteur un
partisan du génocide, quelle que soit la répugnance que l’on puisse
afficher par ailleurs à l’encontre de ses engagements politiques, qui ne font
pas plus de lui cependant un ignoble antisémite ou un forcené de la pureté raciale. Le
couperet pourtant n’a pas tardé à tomber. Invoquant des raisons budgétaires,
les éditions Fayard ont décidé il y a quelques temps de cesser toute
collaboration avec l’écrivain qu’elles publiaient depuis vingt-cinq ans,
suivant en cela la décision des éditions P.O.L.. Quel que soit le jugement que l’on porte sur les idées défendues
par Renaud Camus, on ne peut constater qu’une chose, c’est qu’il ne fait pas
bon aujourd’hui s’éloigner du mainstream idéologique qui prévaut au sein
des élites françaises. La sanction dans ce cas-là, fut immédiate.
Marie Darrieussecq peut se réjouir. Elle n’aura
plus à partager le catalogue de P.O.L. avec un écrivain d’extrême-droite. Le
lecteur un peu sensible à certaines vertus stylistiques pourra toutefois regretter la
mise au placard d’un écrivain comme Renaud Camus. Mais qui se soucie encore de
ce lecteur-là ? Et qui se soucie encore de ces écrivains-là ? Pour Marie Darrieussecq, le souci de la langue dont fait preuve l'auteur des Eglogues le condamne à "l'hermétisme". En plus d'être un facho, Camus se paie le luxe d'être élitiste. Il y en a qui méritent vraiment ce qui leur arrive.
A peu de frais, Marie Darrieussecq aura pu au moins redorer un blason quelque peu terni par les accusations de plagiat lancées il y a quelques années par Marie N’Diaye et Camille Laurens en adoptant la posture fort commode de la courageuse intellectuelle qui prend des risques et dénonce. Peut-être le fait que Camille Laurens ait fait partie de ceux qui avaient soutenu Renaud Camus en 2000 n’est-il pas étranger à cette petite chronique vitupérante d’avril dernier. On pourra cependant rappeler à notre vaillante artiste engagée la différence subtile qui s’établit entre la dénonciation perçue comme une forme de devoir civique et de geste éthique, formulée au nom du respect de la personne humaine ou de sa dignité, et l’acte qui consiste à s’attaquer, sur la base de faits inexacts et de jugements biaisés, à une personne isolée, à seule fin de salir et de nuire et d’en retirer pour soi-même quelques compensations en terme de prestige, de situation matérielle ou de reconnaissance sociale. Dans ce dernier cas, il nous faudrait rappeler à Marie Darrieussecq que cette forme-là de dénonciation s’apparente bien plus à la délation, que Gérard Cornu, dans son Vocabulaire juridique (Puf, collection « Quadrige », 7e édition, 2005), définit comme une « dénonciation méprisable et honteuse », inspirée « par un motif contraire à la morale et à l’éthique ». Peut-être alors serait-on tenté de penser que Marie Darrieussecq, qui se rêve peut-être dans ce genre d’exercice en Emile Zola, s'apparente tout au plus à un pauvre Iago de bas-étage, mais ce serait là une dénonciation sans doute elle aussi bien mesquine de notre part.
A peu de frais, Marie Darrieussecq aura pu au moins redorer un blason quelque peu terni par les accusations de plagiat lancées il y a quelques années par Marie N’Diaye et Camille Laurens en adoptant la posture fort commode de la courageuse intellectuelle qui prend des risques et dénonce. Peut-être le fait que Camille Laurens ait fait partie de ceux qui avaient soutenu Renaud Camus en 2000 n’est-il pas étranger à cette petite chronique vitupérante d’avril dernier. On pourra cependant rappeler à notre vaillante artiste engagée la différence subtile qui s’établit entre la dénonciation perçue comme une forme de devoir civique et de geste éthique, formulée au nom du respect de la personne humaine ou de sa dignité, et l’acte qui consiste à s’attaquer, sur la base de faits inexacts et de jugements biaisés, à une personne isolée, à seule fin de salir et de nuire et d’en retirer pour soi-même quelques compensations en terme de prestige, de situation matérielle ou de reconnaissance sociale. Dans ce dernier cas, il nous faudrait rappeler à Marie Darrieussecq que cette forme-là de dénonciation s’apparente bien plus à la délation, que Gérard Cornu, dans son Vocabulaire juridique (Puf, collection « Quadrige », 7e édition, 2005), définit comme une « dénonciation méprisable et honteuse », inspirée « par un motif contraire à la morale et à l’éthique ». Peut-être alors serait-on tenté de penser que Marie Darrieussecq, qui se rêve peut-être dans ce genre d’exercice en Emile Zola, s'apparente tout au plus à un pauvre Iago de bas-étage, mais ce serait là une dénonciation sans doute elle aussi bien mesquine de notre part.
Le Journal de Renaud Camus a été publié
chez P.O.L., puis chez Fayard, de 1987 à 2012. On trouvera aussi chez
Flammarion, les deux premiers tomes des Eglogues (1975) et les suivants
chez Hachette et P.O.L. (1982 à 2012). Romans et écrits politiques sont publiés
chez P.O.L. et Fayard.
Compte tenu de la situation actuelle de l’auteur,
remercié par Fayard après P.O.L., la publication du Journal 2013 et d’autres
textes se poursuivra pour le moment en ligne à l’adresse suivante :
http://www.renaud-camus.net/
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