Aujourd'hui c'est dimanche, voici donc un article du Professeur du dimanche, initialement publié dans http://hipstagazine.com/. En vous souhaitant à tous un bon dimanche irresponsable.
C’est le 13 mars 1964, vers 3 h 40 du matin, que Kitty Genovese a été violée et assassinée en pleine rue, dans le Queens, à New York. Alors que ses cris ont attiré l’attention de 38 témoins des immeubles voisins, personne ne lui est venu en aide ou n’a prévenu les secours. Le premier à décrocher son téléphone pour appeler la police ne l’a fait qu’au bout de 35 minutes, après avoir tout de même pris soin d’appeler un ami pour lui demander si c’était une bonne idée. C’est à partir de ce fait divers que Lucas Belvaux a réalisé le film 38 témoins, sorti au cinéma le 14 mars dernier, où il met en scène l’un de ces témoins en prise avec sa conscience et se confiant à sa femme sur le silence dont tout le voisinage a été complice.
C’est le 13 mars 1964, vers 3 h 40 du matin, que Kitty Genovese a été violée et assassinée en pleine rue, dans le Queens, à New York. Alors que ses cris ont attiré l’attention de 38 témoins des immeubles voisins, personne ne lui est venu en aide ou n’a prévenu les secours. Le premier à décrocher son téléphone pour appeler la police ne l’a fait qu’au bout de 35 minutes, après avoir tout de même pris soin d’appeler un ami pour lui demander si c’était une bonne idée. C’est à partir de ce fait divers que Lucas Belvaux a réalisé le film 38 témoins, sorti au cinéma le 14 mars dernier, où il met en scène l’un de ces témoins en prise avec sa conscience et se confiant à sa femme sur le silence dont tout le voisinage a été complice.
Consécutivement à ce terrible fait divers, Bob Latane et John M.
Darley ont conduit en 1970, aux Etats-Unis, une expérience permettant de
comprendre ce phénomène de la non assistance à personne en danger, aussi appelé
l’ « effet du témoin », dont les résultats sont parus la même année dans leur
ouvrage The Unresponsive Bystander: Why doesn’t he help?
Dans le cadre d'une soi-disant recherche sur les problèmes
universitaires, un étudiant est invité à parler de la façon dont ce sont passés
ses premiers mois à l'université. Il est placé dans une cabine isolée dont on
lui dit que c’est pour éviter la gêne du face à face avec un autre étudiant,
cette fois-ci complice, qui va lui aussi raconter sa vie à la fac. Tous deux
peuvent réagir aux propos de l’autre via un casque. Au début tout se déroule
normalement, mais au bout d’un moment, l’étudiant complice commence à simuler
une crise d’épilepsie et appelle à l’aide.
Dans le cas de cette première condition expérimentale où le sujet
se trouve seul face à une demande d’aide urgente, 100% des sujets interviennent
au bout de 52 secondes en moyenne. Dans une seconde version, il est proposé la
même chose à un autre étudiant mais on lui dit qu’il y a deux autres étudiants
en cabine. L’étudiant complice réitère le coup de la crise d’épilepsie.
Dans cette deuxième condition expérimentale où le sujet pense
qu’une autre personne peut également agir, 85% des sujets interviennent au bout
de 93 secondes en moyenne.
Enfin, dans une troisième version, on dit à l’étudiant qu’ils sont
six en cabine. Dans cette condition expérimentale où le sujet pense que les
quatre autres personnes peuvent également agir, 62% seulement des sujets
interviennent au bout de 166 secondes en moyenne. Selon Darley et Latané, «
lorsqu'un seul témoin est présent dans une situation d'urgence, il porte la
responsabilité de devoir l'assumer ; […] si d'autres sont présents, la charge
de la responsabilité se diffuse ».
Ainsi, face à une agression, plus il y a de témoins, moins il y a
de chances que quelqu’un intervienne.
Cette dissolution de la responsabilité (y compris pénale) est
clairement formulée par le procureur dans le film 38 témoins : "Un témoin
qui se tait, c'est un salaud. Trente-huit, c'est M. Tout-le-Monde. Je ne
poursuivrai pas." D’autre part, « les individus, par un processus de
rationalisation, peuvent inhiber leur réponse à une urgence, dans laquelle ils
perçoivent un conflit dans le fait d'intervenir, par une distorsion de leur
perception et ce afin de croire qu'en réalité, il n'y a aucune urgence. »
Autrement dit, chacun voyant que personne ne se bouge le popotin, tout le monde
finit par se persuader qu’une intervention n’est pas nécessaire. Une autre
réalité est construite collectivement, histoire de procéder à une
déculpabilisation de groupe. Dans 38 témoins, la femme du personnage principal
se demande pourquoi il est le seul du voisinage à avoir entendu quelque chose,
elle lui suggère alors qu’il a du avoir un cauchemar, ce que tous les voisins doivent
se persuader d’avoir vécu. Seulement cette déculpabilisation ne dure souvent
qu’un temps… Des individus pris de remords finissent souvent par vouloir briser
la loi du silence, ce qui ne va pas sans leur attirer les foudres du groupe
coupable.
Au vu de tout cela viennent inévitablement à l’esprit les quelques
mots prononcés par Georges Abitbol, l’homme le plus classe du monde, juste
avant de mourir, dans le film La classe américaine : « Monde de merde ». Il n’y
aurait donc aucun espoir ?
Philip Zimbardo sait comme il est facile pour des gens aimables de mal
tourner, puisqu’il a mené en 1971 l’expérience de la Prison de Stanford, où des
étudiants divisés en gardiens et prisonniers sont tellement partis en sucette
qu’ils ont du arrêter l’expérience au bout de six jours. Cela ne fait pourtant
pas de lui un pessimiste invétéré, puisqu’il propose notamment que soient
dispensés dans les écoles des cours d’ «héroïsme ordinaire» afin de lutter
contre l’apathie individualiste. Plus prosaïquement, pour lutter contre
l’effet du témoin, la victime a tout intérêt à désigner une personne précise
dans la foule plutôt que d’appeler les gens de façon anonyme. De cette manière,
la responsabilité ne s’évanouit pas et la personne désignée, qui à priori se
bougera plutôt que de se taper la méga honte, a de fortes chances de mobiliser
avec lui l’ensemble des autres gens par son intervention. Ce serait en quelque
sorte le côté vertueux de la double face du mimétisme
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