Nous livrons ici une analyse de Frédéric Mas (chroniqueur de la revue Contrepoints et du Cri du contribuable) qui revient sur les fortunes diverses de la notion de "néo-libéralisme". Sans partager toujours le point de vue de l'auteur sur ce sujet, il nous semble que sa réflexion apporte un certain nombre d'éléments particulièrement intéressants et susceptibles d'enrichir le débat autour de la définition et de l'acceptation des notions de libéralisme et d'individualisme, qui donnent lieu en France, aux interprétations les plus contrastées et les plus contradictoires.
Dans
« La France injuste. 1975-2006 : pourquoi le modèle social
français ne fonctionne plus », l’historien canadien Timothy B. Smith
soutient que le personnel politique du pays depuis les années 1990 a sciemment
pris le parti de désigner la « mondialisation néolibérale » comme
l’ennemi à abattre pour ne pas avoir à réformer sérieusement l’Etat social mis
en place après-guerre[1].
Alors
que les Etats-Unis et la Grande Bretagne de la fin des années 1970 ont préféré
réformer en profondeur leurs Etats providence pour n’en garder qu’un modèle
résiduel, la France -à travers ses politiciens et ses hauts fonctionnaires- a
tout fait pour maintenir un modèle corporatiste (ou « continental-conservateur »
selon la classification de Esping Andersen[2])
bénéficiant principalement aux classes moyennes relativement âgées sans
problème d’emploi et aux retraités, au détriment des nouveaux entrants sur le
marché du travail (jeunes, femmes, immigrés).
Très
logiquement, plus les deux premières catégories s’accroissent, plus le
mécanisme de redistribution devient financièrement intenable. Les
« insiders » (retraités et classes moyennes en milieu ou fin de
carrière) sont nombreux et produisent peu ou de moins en moins, tandis que les
« outsiders » (nouveaux entrants sur le marché et secteur privé) ne
produisent pas assez, ce qui « oblige » les dirigeants à emprunter,
c’est-à-dire à endetter les générations futures pour satisfaire la partie la
plus socialement protégée de la population et à faire appel à l’immigration pour
maintenir en l’état un mécanisme qui ne peut fonctionner que sur la croissance.
Cette
situation a eu un effet paradoxal dans le débat d’idées. Les bénéficiaires
réels ou supposés de l’Etat providence corporatiste, c’est-à-dire du statu
quo ou du retour au système de redistribution social du début des années
1980 ont créé une importante demande en matière de justifications idéologiques.
Cela s’est traduit par la création d’un véritable marché du livre antimondialisation
et anti-libéra, qui n’a cessé de prospérer depuis.
Hier,
Bourdieu, Forrester, Negri et Sontag, aujourd’hui Généreux, le premier
Montebourg démondialisateur et le dernier Michéa adepte de la common decency :
la littérature antilibérale existe pour tous les goûts, de la littérature savante
à la littérature profane, de la réflexion subtile aux slogans rudimentaires, à
la portée de toutes les bourses et avec la garantie pour ses producteurs de
toucher un public relativement large et particulièrement réceptif. Les
partisans du conservatisme social se sont emparés de la rhétorique la plus
révolutionnaire –bien souvent malgré elle- pour prévenir tout risque de
changement. Ils ont désigné sous la même étiquette « néolibérale »,
forcément d’importation anglo-saxonne, tous les individus et toutes
propositions susceptibles de remettre en question un modèle national condamné à
la vitrification.
Seulement,
une fois écartée ses acceptions purement partisanes et journalistiques, le
néolibéralisme existe-il ? Le modèle social français a-t-il vraiment
basculé du côté obscur au milieu des années Chirac-Jospin pour rejoindre les
eaux glacées du calcul et de l’intérêt ?
Néolibéralisme foucaldien, néolibéralisme marxien
Répondre
à la première question demande de se plonger dans une vulgate qui n’a cessé
d’évoluer, de se dédire et de se contredire depuis les premiers essais de
Bourdieu et de ses épigones jusqu’aux derniers de S. Audier ou D-R Dufour.
Force est de constater qu’à de rares exceptions, les contempteurs du
néolibéralisme ne connaissent pas grand-chose et à l’économie politique et à l’histoire
philosophique du libéralisme, ce qui rend la plupart des critiques du néolibéralisme
inconsistantes. Parmi les rares exceptions, nous trouvons d’un côté deux
universitaires marxistes, Christian Laval et Pierre Dardot, et un universitaire
libéral « de gauche », Serge Audier. Les premiers se sont attachés à
faire la généalogie philosophique et historique du néolibéralisme afin de
distinguer ce qu’il y avait de nouveau par rapport à ses acceptions
antérieures, tandis que Serge Audier a cherché à restituer les débats qui ont précédé
la renaissance idéologique du libéralisme dans le domaine de la théorie
politique, notamment au sein du colloque Lippmann puis autour de la société du
Mont Pèlerin.
Les
premiers, dans le sillage intellectuel de Michel Foucault, en font une
rationalité sui generis qui reconstruit l’intégralité du rapport entre
l’homme et son environnement[3].
Dans ce travail d’arraisonnement total, la rationalité néolibérale telle
qu’elle se donne à voir à travers ses discours et ses praticiens propose une
nouvelle forme de gouvernement de soi et des autres empruntée à l’activité
entrepreneuriale. L’homme se conçoit comme une agence elle-même sous la tutelle
bienveillante d’un Etat managériale dédiée à généraliser le marché et ses
nouveaux modes de domination réels ou supposés. L’internalisation économique de
l’Etat constitue une rupture importante par rapport à tout un pan de la
sensibilité libérale dite classique. Comme l’avait suggéré Foucault lui-même,
le libéralisme politique à la fin du 19e siècle subit une crise de
gouvernementalité, car il n’y a pas d’activité de gouvernement spécifiquement
libérale. En d’autres termes, le constitutionnalisme du libéralisme politique classique
est avant tout un système juridique destiné à contenir et même prévenir les
individus contre les abus des gouvernants, la politisation, l’extension de
l’Etat au détriment de la justice et absolument pas une théorie politique positive.
Le néolibéralisme lui adjoint une théorie de gouvernement, qui n’est peut-être pas
la seule possible, mais reste la plus compatible avec l’organisation du pouvoir
qui s’est constituée à partir de l’après-guerre.
Serge
Audier de son côté a remis en question l’unité théorique et pratique du
néolibéralisme suggérée par les épigones de Foucault en historicisant la
constitution des théories libérales contemporaines invoquées pour réformer
l’Etat social qui s’est imposer dans les pays occidentaux après-guerre[4].
Ainsi, au commencement du néolibéralisme, il y a le colloque Lippman de 1938
qui rassemble des intellectuels d’horizon divers, et surtout d’opinions assez
dissemblables sur le contenu même du libéralisme à reconstituer théoriquement.
Ici, il nous faut particulièrement insister sur le
« théoriquement » : tous s’accordent au début du colloque sur
l’échec et la disparition du « moment historique libéral », que la
cause soit interne, et due à la faiblesse de sa propre théorie, ou externe,
qu’il ait été détruit par des idéologies concurrentes ou des phénomènes sociaux
particuliers (notamment les guerres et la crise économique de 1929). Dans les
deux cas, renouveler le libéralisme suppose avant tout de juger de son échec et
de proposer des évolutions intellectuelles, et non de justifier un état du
monde désormais « post-libéral ».
La
précision est importante, et nous amène à pointer la principale faiblesse d’une
critique « historique » du libéralisme principalement défendue par
Jean-Claude Michéa. Michéa propose de juger l’histoire intellectuelle du
libéralisme à l’aune de son triomphe contemporain dans les esprits et dans les
institutions (la « logique » du libéralisme[5]).
Or, s’il avait lu fidèlement ce qu’en dit sa principale source sur le sujet, à
savoir Karl Polanyi, il aurait appris que l’âge d’or du libéralisme qui voit le
triomphe de « l’idéologie de marché » répond à certaines conditions
historiques, sociales et économiques rassemblées de la fin des guerres
napoléoniennes jusqu’à la première guerre mondiale, notamment la paix et le
« dogme » de l’étalon or[6].
Notons au passage que sur cette question précise de l’ « âge d’or du
libéralisme », Polanyi est en accord totalement avec son pire ennemi
« laissez-fairiste » Ludwig von Mises[7].
Cette ignorance rend Michéa incapable de saisir le statut et la fonction du
discours néolibéral dans l’économie générale de la réalité. Il s’agit désormais
d’une production théorique qui réapparait dans un monde social-historique
dominé par l’Etat social, l’économie mixte et un système de banques centrales
émettrices de monnaie. Tout cela mis ensemble ne reconduit nullement l’ordre
social, politique et économique défendu par les libéraux dit
« classiques » ou ceux qu’il englobe comme des partisans du
« laissez faire intégral ». Michéa ne voit pas non plus,
contrairement à Marcel Gauchet, que c’est le fondement individualiste de l’Etat
social d’après-guerre qui a effectué en souterrain le travail historique de
sape des communautés et des liens de solidarités traditionnels, préparant ainsi
les esprits au retour de certaines formes épurées de la théorie du libéralisme[8].
Audier
insiste aussi sur la réorientation « radicale » relativement tardive
du libéralisme au sein des sociétés de pensée (Société du Mont Pèlerin, Institute
for economic affairs, Adam Smith Institute) sous l’influence du
courant d’abord minoritaire, puis majoritaire à partir des années 70 constitué
autour de F. A. Hayek.
Il
nous faut tout de suite préciser qu’une telle radicalisation ne s’est opérée que
dans le domaine des idées, et rarement en pratique, y compris au moment du
reaganisme triomphant, qui s’est en grande partie maintenu avec les outils
fiscaux et budgétaires hérités de la décennie précédente[9].
Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier les nouvelles séparations qui se
sont créées avec l’explosion des think tanks à la fin des années 1970,
les uns délibérément orientés vers la réforme des Etats (AEI, Heritage, Cato)
les autres se repliant sur la recherche pure et l’éducation populaire (aussi
curieux que ça puisse paraître) car incompatibles avec toute forme de
gouvernance politique (Ludwig von Mises Institute, Foundation for Economic
Freedom, Atlas Foundation).
Le vocabulaire et la grammaire de la théorie néolibérale
De ces
deux études parallèles, il est possible de retenir plusieurs éléments de
définition du néolibéralisme qui rendent justice au libéralisme politique sans
gommer ses multiples acceptions.
Premièrement,
il est une sensibilité théorique critique à visée pratique. Le
néolibéralisme regroupe un certain nombre de programmes ayant pour but de
réformer l’Etat social, c’est-à-dire l’organisation politique et
constitutionnelle « profonde » des démocraties occidentales qui s’est
imposée après-guerre. L’Etat social se distingue de l’Etat de police et de l’Etat
de droit par sa participation active aux activités économiques, que ce soit
pour réduire les incertitudes réelles ou supposées liées aux fluctuations des
marchés ou pour organiser le transfert des richesses d’une partie de la population
à une autre au nom de la justice sociale ou des luttes contre l’inégalité
sociale. Pour conduire et planifier ce nouveau rôle, l’Etat social a accumulé
un pouvoir et des prérogatives de gouvernement jusqu’à présent jamais atteint
dans l’histoire moderne, sauf peut-être par les Etats totalitaires. Il a ainsi
opéré à partir de la fin du 19e siècle et grâce aux deux guerres
mondiales une révolution interne qui s’est traduite dans son fonctionnement par
un perfectionnement de sa bureaucratie et le déplacement de la souveraineté
réelle des Etats de la branche législative vers l’exécutif[10].
Deuxièmement,
si le néolibéralisme est avant tout une sensibilité idéologique issue du
libéralisme politique classique, son unité pratique, c’est-à dire en tant qu’il
regroupe un ensemble de discours qui a servi de justification à certaines
réformes politiques par exemple en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, s’est
faite dans la mesure où ses prescriptions n’entraient pas en opposition
frontale avec les modes de fonctionnement de l’Etat social comme nous l’avons
défini plus haut. Essentiellement, il s’est agi d’un changement de mode de
légitimation de l’Etat face à une société civile qui s’est largement enrichie
et « autonomisée » grâce à la croissance économique de l’après-guerre.
Cela s’est notablement traduit par une l’achèvement de la « révolution
managériale » dans les Etats occidentaux, c’est-à-dire la redescription
des missions de l’Etat social dans le langage de l’économie et du management,
sans que cela ne se traduise nécessairement par un retour à l’Etat
« veilleur de nuit » du 19e siècle[11].
Cela
nous amène à un troisième constat, que nous avons évoqué en parlant de
l’internalisation ou de l’intégration de l’Etat au marché, et qui constitue
sans doute le problème central, car le plus ambigu, le plus complexe, et
surtout le lieu de réapparition de l’irréductible pluralisme du néolibéralisme.
Parler d’internalisation suppose l’acceptation plus ou forte du vocabulaire de
l’économie comme point de départ épistémologique –et lexical- pour saisir les
problèmes et apporter des solutions dans le domaine politique. Seulement, si
les néolibéralismes partagent un même vocabulaire économique, ils sont
loin de partager la même grammaire : les expressions et les mots
utilisés dans la discipline économique sont articulés de différentes manières
selon les théories, ce qui leur donne un sens différent en fonction de leur
contexte d’utilisation et des définitions qu’ils génèrent. Les politiques
publiques inspirées par Rawls et Sen parlent sans doute d’ « équilibre
réfléchi » et d’analyse coût / avantage, mais sont très nettement
différentes de celles proposées par un public choicer comme James
Buchanan ou un économiste autrichien comme Huerta de Soto. L’utilisation
néolibérale du lexique de l’économie peut donc varier du tout au tout en
fonction de son articulation grammaticale : là où certains théoriciens
viseront à justifier la place de l’Etat, d’autres chercheront purement et
simplement l’éliminer. Le néolibéralisme peut donc autant assurer une fonction
discursive conservatrice de légitimation qu’une fonction discursive réformiste
– voire subversive- de théorie politique critique[12].
L’irréductible
pluralisme du néolibéralisme porte sur sa grammaire, et suppose la connaissance
des différentes écuries qui le compose pour comprendre ce sur quoi elle
débouche concrètement (politiquement). Certains articuleront le lexique
économique autour de théorie justifiant l’existence d’un Etat minimal (Mises,
Friedman), d’autres non (Buchanan), d’autres encore lui donneront une place
élargie dans la constitution de la société (Buchanan, Ropke), ou l’élimineront
purement et simplement (Rothbard, Friedman fils). Contrairement à ce que l’on
peut entendre chez certains critiques du libéralisme (Dufour, Michéa), tous ne
veulent pas généraliser le marché à l’ensemble des rapports sociaux : les
problématiques liées à la circonscription du domaine des biens publics est
justement une tentative de maintenir un certain nombre de biens et de services
en dehors des modes de coopération sociale qu’on trouve ordinairement en
société. L’adoption de paradigmes qui ne se recoupent pas (hobbésien, smithien,
lockien) ne génère pas les mêmes relations de gouvernants et de gouvernés, et des
définitions concurrentes du marché, que
certains ont tendance à réduire à une modélisation néoclassique que seule une
partie des néolibéraux défend aboutit à des contresens parfois risibles. Le
statut de la rationalité[13],
de l’individu[14]
ou de la liberté[15]
varie aussi d’une théorie à l’autre et débouche là encore sur des politiques
publiques (ou leur absence) qui peuvent varier du tout au tout, de l’imposition
topdown par des experts fonctionnaires économistes jusqu’au laissez
faire bottom up par les individus entre eux.
Le néolibéralisme en France
Pour
conclure, revenons à la seconde question posée, à savoir dans quelle mesure le
modèle social et politique français est « victime » du
néolibéralisme. Si on en croit François Cusset[16],
celui-ci arrive dans les bagages du socialisme mitterrandien dès les années
1980 avec l’impératif de modernisation politique et économique porté par les
politiques et les hauts fonctionnaires de Bercy, ce qui se serait concrétisé
par le « tournant libéral » de 1984. Une lecture moins sélective et
plus attentive des évènements relève là une illusion rétrospective doublée
d’une incompréhension des desseins très pragmatiques de Naouri et Mauroy :
les nationalisations de 1982 et le dirigisme opéré par le Trésor dans le
domaine financier avaient asséché toute possibilité de financement de
l’économie française, et menaçaient purement et simplement de couper court à
toute velléité de réformes politiques[17].
Il n’y a pas eu de conversion idéologique à un programme d’importation
étrangère, mais bien l’abandon du planisme dirigiste hérité de l’après-guerre,
qui ne pouvait fonctionner, du moins en théorie, qu’accompagnée d’une
croissance économique forte (et totalement absente depuis 81). Cette
libéralisation partielle du secteur financier ne s’est pas traduite par un
retrait de l’Etat sur ses fonctions régaliennes, mais s’est faite au service
d’une expansion de la fonction publique nationale et territoriale via la
décentralisation, de la nationalisation d’un certain nombre d’entreprises, de
la refonte du code du travail en faveur des classes protégées, de
l’inauguration des « bienfaits » du déséquilibre budgétaire et de
l’endettement.
Les
premiers signes qui s’apparentent à une acceptation positive et pratique en
France du néolibéralisme porte avant tout sur une réappropriation du
vocabulaire du monde de l’entreprise, au fur et à mesure de l’intégration
européenne, de la création du marché commun jusqu’à l’euro, jusqu’à devenir la
chair de l’opinion commune[18].
Le langage de l’économie est devenu la lingua franca des administrations
publiques, devenu synonyme de rationalisation moderne et d’internationalisation,
et s’est étendue à l’organisation de tous les ministères, collectivités
territoriales, établissements publics, etc. A partir des années 2000, les
documents administratifs les plus importants (loi de décentralisation, LOLF)
portent sa marque si singulière. Seulement, le changement de lexique ne s’est
pas vraiment doublé du retrait de l’Etat tant redouté par les adversaires de la
mondialisation néolibérale. Dans certains secteurs, comme celui des marchés
publics, la dérégulation s’est même traduite par une augmentation sans
précédent du domaine public (et de son coût) au détriment des consommateurs et
des électeurs. Cela nous invite plutôt à nous demander si sous les « habits
neufs du libéralisme » ne se cachent ceux plus anciens et plus classiques
du phénomène bureaucratique et du clientélisme politique. Mais c’est une autre
histoire.
Frédéric
Mas écrit pour Contrepoints et Le Cri du Contribuable.
[1] Smith (Timothy B.), La
France injuste. 1975-2006 : pourquoi le modèle social
français ne fonctionne plus, Paris, Autrement Frontières, 2006, pp. 97-146.
[2] Esping-Andersen (Gota), The
Three Worlds of Welfare Capitalism, Princeton Univ. Press, 1990.
[3]
Dardot (Pierre), Laval (Christian), La nouvelle raison du monde. Essai sur la
société néolibérale,
[4]
Audier (Serge), Le colloque Lippmann. Aux origines intellectuelles du
néo-libéralisme, Latresnes, L bord de l’eau, 2008.
[5]
Michéa (Jean-Claude), « A propos du concept de logique libérale » in La
double pensée. Retour sur la question libérale, Paris, Flammarion, 2008,
pp. 209-25.
[6]
Polanyi (Karl), La grande transformation, Paris, Gallimard, (1944),
1972, pp. 37-57 ; pp. 203-208.
[7] Mises (Ludwig von), Liberalism,
Liberty Fund, (1929), 2012, pp. 194-95.
[8]
Gauchet (Marcel), L’avènement de la démocratie III. A l’épreuve des
totalitarismes 1914-1974, Paris, Gallimard, 2010, pp. 601-11.
[9]
Galbraith (James K.), The Predator State : How Conservatives Abandoned
the Free Market and Why Liberals Should Too, New York, Free Press, 2008, p.
5 ; Rothbard (Murray), “Ronald Reagan: An Autopsy” in Liberty, vol. 2, n°4,
mars 1989, republié à l’adresse suivante : http://www.lewrockwell.com/rothbard/rothbard60.html
; Toinet (Marie-France), “La continuité institutionnelle ou le reaganisme
centralisateur”, in Revue Française de Science Politique, n°4, 1989, pp.
456-76.
[10]
Gauchet (Marcel), A l’épreuve des totalitarismes…op. cit., pp.
22-32 ; p. 111 ; pp. 575-600.
[11] Sur l’Etat manager :
Gottfried (Paul), After Liberalism : Mass Democracy in the Managerial
State, Princeton Univ. Press, 2001.
[12]
Précisons que contrairement à Dardot et Laval, nous insistons sur une approche
langagière et non cognitiviste qui creuse la distance entre discours néolibéral
d’un côté et les comportements de l’autre, ces derniers restant difficilement
évaluables. Pour juger de cette distance entre le comportement et le discours,
il eut fallu entrer dans la cohérence interne (intentionnelle et
définitionnelle) des théories et non pas simplement des discours
tenus par l’ensemble des promoteurs du néolibéralisme pour juger de son effectuation
sur les institutions et les comportements. En cela, estimer que le
néolibéralisme est devenu la « nouvelle raison du monde » est une
hypothèse invérifiable, ni vraie, ni fausse, puisque tributaire de discours
dont on ne connaît pas, et dont on ne peut pas connaître, le véritable degré de
pénétration dans les pratiques ordinaires des individus. Cela explique
également l’insistance que nous mettons à parler de mort pratique du
libéralisme et de renaissance(s) théorique(s) à travers ses descendants
contemporains néolibéraux.
[13] Nozick (Robert), The Nature
of Rationality, Princeton Univ. Press, 1993.
[14] Par exemple Hayek (Friedrich
August), Individualism and Economic Order, Chicago Univ. Press,
1958.
[15]
Sur les différentes acceptions théoriques du terme « liberté » dans
le libéralisme, voir : Narveson (Jan), « Liberty : Negative v.
Positive », in The Libertarian Idea, Broadview Press, 2001, pp.
22-37 ; De Jasay (Anthony), « Freedom, From a Mainly Logical
Perspective » in Political Philosophy, Clearly. Essays on Freedom and Fairness,
Property and Equalities, Indianapolis, Liberty Fund, 2010, pp. 206-27.
[16]
Cusset (François), La décennie. Le grand cauchemar des années 1980,
Paris, La découverte, 2006.
[17]
Landier (Augustin), Thesmar (David), Le grand méchant marché. Décryptage
d’un fantasme français, Paris, Flammarion, 2007, pp. 137-43.
[18]
Sur l’économie comme problème et solution en tant que philosophie première, on
pourra se reporter à Gauthier (David), « l’individu libéral », in Morale
et contrat. Recherche sur les fondements de la morale, Sprimont, Mardaga,
1986, pp. 395-422. Sur le triomphe de l’ « économisme » comme
« langue naturelle » de l’autorité politique contemporaine,
Castoriadis (Cornélius), Les carrefours du labyrinthe, tome III. Le monde
morcelé, Paris, Seuil, 1990.
La mondialisation étant un phénomène historique dont l'origine remonte au XVIe siècle (de même que le capitalisme est un système économique avant d'être une idéologie), il paraît en effet difficile de la critiquer sous cet angle. Néanmoins, la "mondialisation" s'apparente aujourd'hui à un discours idéologique. Quant au libéralisme, il reste ce qu'il a toujours été: une vue de l'esprit...La critique de Michéa me semble juste parce qu'elle pointe du doigt un discours et une dérive idéologique. Pour ce qui est de Polyani, je ne l'ai pas lu.
RépondreSupprimerQuestions idiotes: je n'ai pas lu non plus Polanyi, mais à la lecture de l'article me viennent un certain nombre de questions:
RépondreSupprimer- En quoi le néolibéralisme nous épargne-t-il la bureaucratisation et l'étatisation d'une société?
- Quel projet de société le néolibéralisme propose-t-il en lieu et place d'un Etat social moribond?
- Je sais quelle sera la réponse à la question précédente et je me demande donc en quoi la disparition de l'Etat peut être remplacée par une cohabitation harmonieuse des intérêts individuels? Quid du contractualisme? Par quoi remplacer le veilleur de nuit?
- Je suis attaché à l'imaginaire libéral de Constant ou Tocqueville et à la défense des libertés individuelles mais l'imaginaire néolibéral n'est-il pas porteur d'une négation des principes libéraux remplacés par une idéologie purement gestionnaire?
- Quelle est la différence entre un libertarien et un anarchiste? L'attachement à la propriété privée?
Ajout: http://www.contrepoints.org/2012/09/04/96169-quand-les-economistes-liberaux-se-trompent?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Contrepoints+%28Contrepoints%29&utm_content=FaceBook
RépondreSupprimerJ'ai plutôt suivi Audier que Dardot et Laval sur la définition à donner au néolibéralisme : il s'agit plus d'un courant, ce qui renvoie à une pluralité de théories qui partagent un vocabulaire commun mais pas d'objectifs ou de finalités communs. Au contraire, Dardot et Laval définissent le néolibéralisme comme un projet politique unique qui intègre l'état et donc son organisation au marché. Dans ce dernier cas, il n'y a pas d'opposition entre le phénomène bureaucratique et le néolibéralisme. Si on élargit la définition pour adopter celle de Serge Audier, ça se complique, puisqu'on intègre des théories, notamment libertariennes plus favorables à l'ordre économique qu'à la politique.
RépondreSupprimerSi on admet que le marché n'est pas simplement ce lieu abstrait où des individus s'échangent des biens et des services, mais un ordre complet et surtout décentralisée de normes explicites ou implicites visant à permettre aux plus individus possibles de collecter des infos afin d'atteindre leurs buts le plus efficacement possible, le tout pacifiquement, alors ce sont les prétentions de l'Etat et de son organisation qui se doivent de démontrer leur nécessité. La société s'organise spontanément, c'est-à-dire que la division du travail et l'échange supposent et encouragent la coopération des individus entre eux sans qu'il n'y ait besoin d'une puissance bénévole pour en initier, en corriger ou en interrompre le processus (contra Hobbes).
Sur l'Etat social : Pour paraphraser Pinsker, je dirais que ses meilleurs représentants proposent l'autoémancipation de la société civile par rapport à l'Etat et à son administration (et le "containment" de la politique). La logique même de l'Etat (c'est-à-dire ici la classe de ceux qui vivent grâce à sa position particulière dans le jeu économique) est de s'étendre jusqu'à entrer en compétition avec ses administrés pour s'approprier les ressources qu'ils produisent. Je renvoie là à deux ouvrages qui me paraissent essentiels sur le sujet, à savoir The State, de Anthony de Jasay, et l'article de Hoppe sur la lutte des classes : http://mises.org/journals/jls/9_2/9_2_5.pdf
Sur la coopération harmonieuse des intérêts individuels : comment chaque jour des milliards d'individus coopèrent à peu près pacifiquement pour produire des biens et des services ? C'est ça qui devrait nous étonner. Cette harmonie existe donc déjà -sans doute imparfaitement- en dehors des relations posées par le strict marché politique.
Maintenant, ce que dit un Buchanan par exemple, c'est que pour favoriser la propension des individus à troquer, commercer et échanger (mauvaise paraphrase de Smith de ma part) et décourager la prédation (qui existe tout autant que la propension à coopérer), il faut ce qu'il appelle une "structure de contraintes", c'est à dire des règles du jeu qui conduisent les acteurs. Ces règles sont des règles morales, de droit, constitutionnelles qui pose le cadre du (grand méchant) marché. Là, on peut diviser les camps en présence en deux catégories, l'un contractualiste, l'autre "traditionaliste-évolutionniste" (sic).
Le camp contractualiste (celui de James Buchanan) invoque la nécessité de codifier par contrat social les règles constitutionnelles permettant l'établissement de cette structure de contrainte (elle doit être consentie, ce qui paraît logique). Le camp TE suggère que l'ordre économique lui-même peut produire les règles de coopération nécessaire à son bon fonctionnement, y compris les règles de sanction (coercition) en cas de désobéissance de certains de ses participants.
Sur l'Etat gestionnaire : je crois que le danger existe si on admet que le néolibéralisme est une technique de gouvernement légitimé par l'économie (la définition de Laval et Dardot), qui a ses racines dans le libéralisme classique (celui qui est la cible de Schmitt, et qui a été porté en France par un Constant). Si on se place du point de vue libertarien, alors le centralisme politique (et donc administratif) devient l'ennemi principal.
RépondreSupprimerLa différence entre un anarchiste et un libertarien à mon avis repose essentiellement sur la place morale de l'égalité et l'acceptation d'une structure de contraintes qui met au coeur de son fonctionnement la propriété privée (et la justice au sens strict). L'anarchisme contemporain insiste particulièrement sur l'exigence d'égalité réelle (sociale et politique) entre les individus, là où le libertarien tend plutôt à défendre la seule égalité formelle (justice et propriété). Chez l'anarchiste, cela se traduit par une exigence permanente d'émancipation et un refus général des contraintes, c'est à dire de tout ce qui peut faire penser à des relations de subordination ou d'autorité entre les individus. Cette exigence morale permanente le pousse à une certaine naïveté en matière de relations sociales doublé d'une sorte d'autoritarisme collectiviste ("le peuple", "la collectivité" peuvent imposer leurs préférences morales égalitaires à tous), ce qui le fait en permanence osciller entre le marxisme, le keynesianisme et l'anomie pure et simple.
Il y a là un problème politique qui n'a jamais vraiment été résolu dans la tradition anarchiste : l'organisation de la production par la planification suppose la division entre des experts et des administrés, et la possibilité pour les premiers de choisir en lieu et place des seconds au nom de leur expertise. En d’autres termes, c'est une organisation économique hétéronome qui se superpose à une sorte de moralisme autonome.
Ce qui me semble aussi peu résolu chez les libertariens que l'organisation de la production chez les anarchistes réside dans ces trois mots que j'extrais de ta réponse: "le tout pacifiquement"...Je veux bien qu'on rejette l'égalitarisme en tant qu'idéologie dangereuse, comment ne pas en revanche considérer que "l'ordre économique" a un caractère tout aussi utopique? (qui s'en défend avec des armes qu'il arrache des mains des marxistes: rationalité scientifique, justification économique...etc). Ce qui amène certains libertariens dont je tairais le nom par grandeur d'âme à se partager des extraits de Matrix en piaffant de plaisir devant cette ode à la grande libération (plus de lois, plus de contrôles...et plus de contraintes, plus de parents qui font chier...je suppose que Rage against the machine doit être un grand groupe libertarien). "comment chaque jour des milliards d'individus coopèrent à peu près pacifiquement pour produire des biens et des services ?" oui et pourquoi pas plutôt: "ce qui m'étonne ce n'est pas le désordre, c'est l'ordre". Voilà une remarque qui n'était pas plus bête...Parce que l'ordre, comprendre l'harmonie et le règlement pacifique des conflits ne me semble pas être la norme dans le monde actuel. Comment se passer du contrat et surtout qui peut instaurer et imposer cette codification si ce n'est l'Arbitre, au sens de Hobbes, qu'est l'Etat? Pour être plus trivial, si nous suivons les plus convaincus et votons avec enthousiasme pour la solution TE, je ne vois pas en quoi l'ordre économique serait un principe normatif plus convaincant qu'un bon Ithaca 37 (http://world.guns.ru/shotgun/usa/ithaca-37-e.html). Je n'ai pas l'intention ici de défendre et justifier tous les empiétements de l'Etat sur la sphère de décision individuelle mais la question du monopole de la violence reste quand même un bon rappel de la prééminence du politique sur l'ordre économique. Et cet Etat social dont la survivance s'oppose à l'harmonisation générale ne me semble pas plus responsable de la situation économique que la gestion bureaucratique libérale, dont les principaux tenants ne sont pas vraiment dérangés par l'Etatisme et l'interventionnisme. Pour revenir à Michéa, Gauchet, à la critique historique du libéralisme et à "l'âge d'or" des années 1815-1915, il me semble aussi que Gauchet parle aussi de ce "moment 1900" qui correspond à la fois au triomphe du libéralisme et en même temps à une profonde crise du gouvernement libéral dont les symptômes, c'est en partie le propos de Michéa, peuvent être lus à nouveau depuis les années 1970-80: triomphe idéologique mais ralentissement économique et incapacité gouvernementale du libéralisme.
RépondreSupprimerQuand je dis que l'ordre économique suppose une coopération pacifique sous l'empire de la division du travail et de la spécialisation des tâches, c'est un constat, une description factuelle : la production de tous les biens de consommation qui circulent suppose la collaboration de millions d'individus qui ne se connaissent pas et qui le font volontairement (à part bien entendu dans certains cas, qu'on peut trouver trop nombreux). C'est cet ordre d'échanges, d'actions et de conduites créé paradoxalement (en apparence) par une multitude d'individus poursuivant leurs intérêts que l'économie politique étudie depuis Adam Smith jusqu'à présent.
RépondreSupprimerL'utopie dont tu parles (que je ne défends nullement dans l'article que j'ai écrit plus haut, mais qui, si on me demande mon avis à moi, et moins utopique que de croire à la bienveillance d'un Etat capable de s'autolimiter, comme le croient les libéraux classiques, ou capable d'"incarner" la volonté générale, le bien commun ou le salut du peuple, comme l'imaginent les souverainistes) serait la généralisation de l'ordre économique aux fonctions traditionnellement assignées à l'Etat. Cette généralisation ne serait pas l'absence de contraintes et de règles, mais plutôt la production privée des normes, des coutumes, les habitudes, lès règlements, etc. Contrairement à une vision naïve du libertarianisme, véhiculée par ce que Rothbard appelait les "modal libertarians", une société d'extrême liberté serait à mon avis aussi une situation d'extrême responsabilité (et donc d'extrême normativité!).
L'Etat, si on en croit les Hobbes et les Locke, est un réducteur d'incertitudes, il justifie son existence à l'origine pour réduire les aléas de l'existence en se chargeant de préserver la vie et éventuellement la propriété de ses administrés. Il faut donc imaginer que le transfert de responsabilité de l'Etat aux individus aurait un coût que tous les hippies fumeurs de joints et joueurs de djembé auraient du mal à supporter : il inciterait à apprendre à se défendre, à se constituer un patrimoine sans attendre la manne publique, à tisser et entretenir un réseau de relations communautaires et familiales afin de constituer un filet de sécurité en cas de coup dur.
L'intérêt d'une école comme le public choice est d'avoir tenté de refonder en raison la nécessité d'un contrat social permettant, au moins à titre hypothétique, la justification d'un Etat afin de produire des biens publics que le marché n'aurait pu produire par lui-même. La question qui demeure donc est de savoir si ces biens publics produits par l'Etat n'auraient pas pu apparaître en situation de marché, et si cette absence justifie la création permanente d'une agence monopolisant à la fois la coercition et l'expropriation. La réponse n'est pas simple, je crois cependant qu'il existe de bonnes raisons pour croire que ni la position exorbitante du droit de l'Etat, ni la production publique de biens ne se justifient. Deux conseils de lecture sur le sujet : http://www.amazon.com/State-The-Anthony-Jasay/dp/0865971714 et http://www.amazon.com/Political-Economy-Concisely-Markets-Collected/dp/086597778X
Que la prédation existe autant que la coopération dans les relations humaines, je suis d'accord, la question est de savoir si le meilleur moyen de s'en préserver est d'investir une agence permanente monopolisant l'usage de la force (l'Etat quoi). Je ne suis pas certain que donner le gros bâton à une fraction de la population l'incite à s'en servir avec modération.
RépondreSupprimerLa prééminence du politique, c'est le règne de l'arbitraire, de la majorité, des corps constitués et des passions les plus destructrices. Je préfère l'ordre économique, mais j'en reparlerai
Je ne défends ni l'Etat social, ni le constitutionnalisme classique, ni l'Etat néolibéral. En fait, je ne trouve pas de justification rationnelle à l'existence de l'Etat, ce qui est mon gros problème. Je ne dis pas que de son absence naîtrait une société super belle où couleraient le lait et le miel, mais je crois que l'association entre Etat et société n'est pas de l'ordre de la nécessité (il faut un état pour qu'émerge une société libérale par ex) mais de la conjonction (la société n'a pas un besoin impérieux de l'Etat).
Sur la crise du gouvernement représentatif et du parlementarisme qui lui est associé fin 19e : la crise du début du siècle est une crise de gouvernance comme celle des années 1970. Mais celle du début du siècle est plus une crise du limited government, là ou celle des 70 est une crise du welfare state. La première débouche sur l'émergence du planisme, la seconde sur le néolibéralisme ou la modernisation managériale de l'activité politique.