lundi 24 septembre 2012

Où sont les antifascistes?


            Rebelles des beaux quartiers, petits mutins accrédités, que sont devenus les antifascistes ?
Ils ont grandi et se sont épanouis en même temps que le Front National, sous le regard amusé et bienveillant de Tonton, car ce sont les années Mitterrand qui ont accouché de cette hydre à deux têtes : le Front National et son inévitable corollaire antifasciste, le requin et son poisson-pilote. L’un ne va pas sans l’autre et si Jean-Marie Le Pen a dû en partie la mise en orbite de son parti à F. Mitterrand, la nébuleuse antiraciste doit sa justification idéologique et son existence même au leader du parti nationaliste.
Après les années 1980 et les petites mains jaunes du « Touche pas à mon pote », les années 90 ont vu défiler le cortège monotone des manifestations antiracistes, des groupes conscientisés et des éditoriaux moralistes, tous semblables, répétant à l’unisson les mêmes slogans, enfonçant de concert toutes les portes ouvertes  du boyscoutisme idéologique, déclinant sur tous les modes et à tout propos les mêmes poses de résistants de pacotille. Le rock alternatif est mort quelque part entre la première cohabitation de Chirac et le bicentenaire de la Révolution Française mais la jeunesse des années 90 ne cessera pas, avec sérieux et bonne conscience, de scander jusqu’à l’aube de la quarantaine assagie qu’elle emmerde le Front National.
SOS Racisme est passé depuis longtemps de « Touche pas à mon pote » à « Touchez pas au Grisby » quand Jean-Marie Le Pen, inoxydable, connaît en 2002 la consécration de sa longue carrière politique. Alors, banderoles en main et jolis slogans à la bouches, les antifascistes sont descendus dans la rue pour taper du pied, brandir le poing et prendre leur place dans cette belle opérette que la chiraquie vacillante leur offrait. Sur les plateaux de télévision, les journalistes, les artistes et les bonnes âmes prenaient avec ferveur le pouls de cette France rebelle et de cette jeunesse qui communiait dans une révolte pour rire. Il y avait grand intérêt à ce moment à se trouver devant son poste de télévision pour goûter des moments de drôlerie qui atteignaient presque la grâce des interventions de Jean-Edern Hallier dans la campagne (des européennes) de 1979.
A ce moment précis, quelque-chose s’est déréglé dans la belle mécanique qui semblait si bien huilée depuis la fin des années 90 et la mise à l’écart des derniers trublions cathodiques. Le deuxième tour des élections n’avait finalement aucune importance. La rue a offert à Jacques Chirac la plus belle réélection de la Ve république et au régime le plus violent camouflet qu’il ait eu à subir depuis sa création. Dans les médias cependant, on pouvait avoir pour la première fois l’impression que les acteurs n’étaient plus très sûrs de leur texte. François Hollande et Yannick Noah mouillaient leurs chemises sur les plateaux de télévision et la France se répandait sur les grandes avenues en larges coulées de peur sous l’œil hagard des caméras. Quelque chose pourrissait à vue d’œil en chiraquie.



Quand tout est rentré dans l’ordre et que le Thrasybule corrézien fut réélu avec 82% des voix, les antifascistes se sont congratulés. Personne parmi eux, au sein du PS ou de ses différentes officines ne s’est demandé bien sûr quelle aurait pu être la responsabilité des bonnes âmes dans le triomphe de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Personne évidemment ne pouvait mettre en avant le rôle joué par les champions de la bonne conscience dans cette triste mascarade. Les antifascistes alors ont continué à jouer à guichets fermés la comédie de boulevard de la lutte contre la réaction et ce faisant ils ont continué à trahir tout ce qu’ils prétendaient défendre et à servir tout ce qu’ils prétendaient combattre : le peuple, réduit depuis longtemps à la figure simple du beauf de Cabu, la mondialisation qu’ils conspuaient à longueur de meeting tout en s’en faisant les avocats les plus efficaces, l’immigré dont ils avaient fait leur héros du moment bien sûr qu’il reste enfermé dans la banlieue et dans le rap, condamné à n’être que l’icône inconnue de la « diversité ».
Ils n’ont pas plus compris ces bienheureux qu’ils avaient préparé de la même manière la victoire en 2007 du vulgaire et discourtois Sarkozy et qu’en empêchant systématiquement tout débat sur le bien-fondé de la construction européenne, sur l’immigration de masse ou sur une intégration dont ils ne souffraient certainement pas des dysfonctionnements, ils préparaient à chaque fois l’avènement d’un populisme simplificateur, réponse symétrique à l’irréfutable catéchisme de ces révolutionnaires appointés.  Il est vrai que l’on a rien besoin de comprendre quand on détient à coup sûr la vérité.
Où sont les antifascistes aujourd’hui ? Ils ne paraissent plus très fringants. Ils s’agitent encore beaucoup bien sûr, ils condamnent, ils menacent, ils s’indignent mais leur vacuité est apparue au grand jour désormais. Il aura fallu peut-être le développement d’internet et des réseaux sociaux pour renverser la chape de plomb qui pesait sur le débat public en France. Quoi qu’on dise ou pense de ces outils, ils auront servi malgré tout à construire une alternative au discours produit et ressassé par les médias traditionnels. Peut-être se rendra-t-on compte, quand ce sera apaisé l’emballement médiatique, que « l’affaire Millet » aura représenté un tournant décisif. Car la publication conjointe des trois ouvrages : Langue fantôme, De l’antiracisme comme terreur littéraire et Intérieur avec deux femmes, aura permis de faire entendre clairement cette contestation sourde du discours établi qui n’était encore jusque-là qu’une rumeur montante.
Millet a ouvert une brèche.  On a pu soupçonner que l’écrivain qui n’est sans doute pas né de la dernière pluie ait parfaitement anticipé les réactions aberrantes auxquelles il allait s’exposer. Il est vrai que nous sommes tellement habitués à celles-ci désormais et Renaud Camus avant lui en avait fait les frais… L’objectif de Millet cependant n’était pas de provoquer un succès de librairie fondé sur un scandale médiatique mais bien plutôt de révéler au grand jour l’inanité profonde de l’antiracisme conçu comme un outil idéologique, comme une législation sémantique visant à imposer une relecture constante du réel pour masquer l’impuissance du politique.  Cela a parfaitement fonctionné et l’on peut ici être reconnaissant à l’auteur non pas d’avoir fait l’éloge d’Anders Breivik, ce que ses détracteurs ont voulu mensongèrement retenir de son propos, mais d’avoir permis tout simplement de croire qu’il était encore possible d’écrire ou de débattre de façon un peu plus libre sans se soucier de l’éternelle censure d’un « politiquement correct » aussi stérile qu’étouffant. Le prix à payer, objectera l’intéressé, est certes lourd, il le sera sans doute encore pour longtemps.
Mais il faut enfin adresser un dernier remerciement cette fois aux journalistes du Nouvel Observateur et aux signataires du manifeste Ernaux pour avoir, dans leur précipitation, révélé à quel degré d’imbécilité et de sectarisme borné sont parvenus les nouveaux chiens de garde. Il faut les remercier aussi de nous avoir tant fait rire. Réussir à faire tenir dans le même arbre Jean Robin, Stormfront ou Eric Zemmour est un exploit qui égaye toujours autant les soirées et acquiert le statut d’une running joke dont le succès ne se dément pas (scoop : Eric Zemmour aurait été le bassiste de Légion 88 de 1987 à 1989, Renaud Camus est un biker danois membre de la Arian Brotherhood et Alain Soral aurait servi de modèle pour les pochettes du groupe Manowar).




Félicitations donc à Renaud Dély, A. Ernaux et tous leurs acolytes pour avoir si charitablement accepté de passer pour des cons et avoir ruiné avec autant de brio le peu de crédibilité qu’il leur restait. Il va falloir en produire maintenant des expertises pour rattraper le coup. Et après cette brillante démonstration, cela devrait peut-être devenir encore un peu plus difficile de trouver des spécialistes assez charitables pour accepter de se laisser embarquer dans ce genre d’aventures. Pour pallier cette éventuelle difficulté, je suggère à Renaud Dély d’aller chercher la prochaine fois un peu d’inspiration dans les films Surf Nazis must die ou Dead snow (l’histoire de nazis congelés qui reviennent brusquement à la vie et terrorisent des snowboarders norvégiens), c’est à peu près du niveau de ses analyses mais en plus drôle. 


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