Nous aurons l’occasion de revenir sur les travaux de Donna J.
Haraway, féministe américaine qui détient une chaire d'histoire
de la conscience à l'Université de Californie à Santa Cruz et qui est aujourd’hui,
avec Judith Butler, une des principales théoriciennes des "gender studies".
En attendant d’en dire plus, nous donnons ici quelques extraits du « Manifeste
cyborg » qui expose le projet de subversion technologique des genres,
défendu par Donna Haraway, en proposant en regard, quelques textes qui éclaire
à leur manière le « transhumanisme » de cette "historienne de la conscience".
Un manifeste cyborg
« Le sexe cyborgien fait revivre quelque chose de la
ravissante liberté réplicative des fougères et des invertébrés (quelle
délicieuse prophylaxie naturelle contre l’hétérosexisme). La réplication du
cyborg a divorcé de la reproduction organique. La production moderne ressemble
à un rêve de travail accompli dans un monde colonisé par les cyborgs, un rêve à
côté duquel le cauchemar du Taylorisme paraîtrait idyllique. […]Je plaide pour
une fiction cyborgienne qui cartographierait notre réalité corporelle et sociale,
une ressource imaginaire qui permettrait d’envisager de nouveaux accouplements
fertiles. […]La fin du XXe siècle, notre époque, ce temps mythique est arrivé
et nous ne sommes que chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés
puis fabriqués ; en bref, des cyborgs. Le cyborg est notre ontologie ; il
définit notre politique. […]Le cyborg est une créature qui vit dans un monde
post-genre ; il n’a rien à voir avec la bisexualité, la symbiose préœdipienne,
l’inaliénation du travail, ou tout autre tentation de parvenir à une plénitude
organique à travers l’ultime appropriation du pouvoir de chacune de ses parties
par une unité supérieure. Le cyborg n’a pas d’histoire de ses origines au sens
occidental du terme – ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence,
l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation
abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme
dans l’espace. »
Donna
Haraway. "Simians, Cyborgs, and Women, The reinvention of nature". Routledge
NY. 1991. Première publication " Manifesto for Cyborgs : science
technology, and socialist feminism in the 1980’s" Socialist review 80
(1985). Trad.: : Marie
Héléne Dumas, Charlotte Gould, Nathalie Magnan. © Ecole Nationale Supèrieure
des Beaux-arts, Paris 2002. http://www.larevuedesressources.org/cyborg-manifesto-un-manifeste-cyborg,2318.html
La réinvention de la nature
« Pourquoi la NSF [1], puissante institution américaine qui
emploie 1 360 personnes, confie-t-elle sa stratégie technologique à un
spécialiste des phénomènes de manipulation mentale et d’adhésion des
foules ? Serait-ce pour mieux anticiper d’éventuelles contestations de la
société civile ? On ne peut l’exclure tant on constate l’implication de chercheurs
en sciences humaines dans la promotion des technosciences et plus
particulièrement des sciences cognitives. Patricia Churchland avec la
neurophilosophie forgée autour du co-découvreur de la structure de l’ADN,
Francis Crick [2], l’historienne Donna Haraway et son “ cyborg manifesto ”
pour la “ réinvention de la nature ” [3] ou encore l’économiste Robin
Hanson, entendent abolir les frontières entre le vivant et l’inerte, entre la
machine et l’humain, entre le masculin et le féminin, et proclament qu’il faut
construire des “ corps nouveaux ” pour une “ vie nouvelle ”.
Ce mouvement apparaît comme la suite logique des thèses
cybernétiques pour lesquelles le réel et le virtuel se confondent par la
réduction successive des objets physiques puis biologiques à des principes
informationnels. Comme l’explique l’historienne américaine Lily Kay (Harvard),
le code génétique est devenu après-guerre le centre métaphorique de commande et
de contrôle des êtres vivants [4]. Dans son ouvrage récent sur “ L’empire
cybernétique ”, la sociologue Céline Lafontaine (Université de Montréal)
précise : “ La cybernétique place non seulement les notions de
communication et de contrôle au cœur de son projet, mais elle rend effectif le
passage de la physique à la biologie en annulant toute distinction entre vivant
et non-vivant. ” Avec les cyborgs, les biobots, “ on fait littéralement face à
la mise en chair des métaphores cybernétiques (...) ”. Puis de commenter :
“ Ce qui est oublié dans cette indifférenciation entre les êtres et les choses,
c’est le fondement corporel inaliénable de toute vie terrestre. Le
réductionnisme informationnel revient à nier que les êtres vivants sont d’abord
des unités synthétiques indécomposables en segments codés. ” [5]. »
Dorothée BENOIT
BROWAEYS. Journaliste à Paris ©Vivant
Editions
Une conception nouvelle de la vie
"Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines
exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l'exige
au nom du Progrès, c'est-à-dire au nom d'une conception nouvelle de la vie,
imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité.
Imbéciles ! Comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une
machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement
synchronisés !"
Georges
Bernanos La France contre les robots (1944) - Pléiade, p. 989
[1] « National Science Fondation ».
L’équivalent américain du CNRS
[2] B. Andrieu (1998) La
neurophilosophie PUF, Paris.
[3] D.J. Haraway (1991) Simians, Cyborgs and Women.
The Reinvention of Nature, New York, Routledge.
[4] L.E. Kay (2000) Who Wrote the Book of Life :
A history of the Genetic Code, Stanford University Press.
[5] C.
Lafontaine (2004)L’empire cybernétique, des machines à penser à la pensée
machine Seuil, Paris.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire