vendredi 21 septembre 2012

Un certain état de poésie





Que serions-nous prêts à défendre, nous tous, ceux d’Occident, même au prix de nos vies : serait-ce la démocratie ? le mot est vague. Seraient-ce nos libertés ou la liberté ? le mot à son tour a plusieurs sens entre lesquels il faudrait choisir et il n’est pas sûr que le choix que nous en ferions soit unanime. Serait-ce la religion, une religion, notre religion ? mais nous en avons au moins deux ; une langue ? nous en avons plusieurs. Il faut pousser sans doute encore plus loin, et, par delà les dogmes, par delà les croyances particulières et les lois particulières, descendre jusqu’à un principe plus universel encore : un certain sens du sacré, qui est ce que l’Occident a connu de plus précieux, une certaine attitude de respect devant l’existence, par quoi il faut entendre tout ce qui existe, soi-même et le monde autour de soi, les mystères qui nous entourent, le mystère de la mort, celui de la naissance (qui n’en sont pas pour certains hommes), une certaine vénération devant la vie, un certain amour, et pourquoi ne pas le dire ? un certain état de poésie où on est presque devant le créé. 

Charles-Ferdinand Ramuz. Pages d’un neutre. Avril 1940

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