lundi 3 septembre 2012

Supériorité de l'esprit européen


      Nous avons reçu la contribution d'un idiot particulièrement énervé de la situation mentale de l'Europe. Il n'entend cependant pas que l'on puisse comparer les civilisations mais souligner que la capacité de décentrement et la faculté critique ont fondé le caractère unique de l'esprit européen: le pouvoir de se juger soi-même et d'exercer cette capacité critique sur les autres civilisations pour mieux les appréhender. Cette capacité de contestation interne s'est-elle cependant muée aujourd'hui en une obsession de l'auto-dépréciation suicidaire? Ce fou en appelle à une nouvelle guerre spirituelle. Si nous ne savons pas très bien où cela nous mènera, nous mettons sur la table son texte. 

Une contradiction fondamentale traverse l’esprit de bons nombres d’européens : l’autocritique radicale y coexiste avec une absence d’esprit critique lorsqu’il s’agit de causes étrangères, pourvu qu’elles soient anti-européennes. Tentons de comprendre ces esprits malades car ils sont symptomatiques: Il s’agit « d’une part, [de] la dénonciation des crimes commis par les siens s’est muée en une haine de soi sans partage. Plus rien dans sa propre histoire et sa propre identité ne mérite d’être admiré ou aimé, et l’on ne peut donc plus s’identifier à rien. D’autre part, [de] cette attitude de dénonciation radicale va de pair avec une admiration sans réserve des autres cultures, jusque dans leurs formes les plus violentes, même et surtout lorsqu’elles sont dirigées contre l’Europe »[1].
Ce masochisme moralisateur engendre « les amis du désastre » : l’encouragement de notre suicide devant l’ennemi. Notre culture est « menacée non seulement du dehors, mais davantage peut-être, par la mentalité suicidaire dans laquelle l’indifférence envers notre propre tradition distincte, l’incertitude, voire la frénésie autodestructrice prennent la forme verbale d’un universalisme généreux »[2]. Les plus grands antieuropéens sont les européens eux-mêmes. Et pourtant cette attitude demeure européenne, elle relève de l’esprit européen – perverti certes – mais c’est bien l’esprit européen qui se fait jour. Cet esprit est même reconnaissable entre mille parce que c’est un esprit supérieur.
Pour le comprendre, caractérisons l’Europe. Elle est la civilisation des hôpitaux, des écoles, des cathédrales, des arts et des lettres, « la sphère précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps »[3]. Certes. Mais de quel cerveau parlons-nous au juste ? Ne serait-ce pas plutôt celui qui « compute le calcul technique et industriel, planétaire et interstellaire »[4] ? Celui qui est à l’origine de la menace principale qui pèse aujourd’hui sur tous les peuples de la Terre : l’instauration d’un système unique, aboutissant à la dissolution des cultures populaires et des modes de vie enracinés. Ce système, propagé par la globalisation est directement lié à la logique du profit et aux exigences du capital. Il entraîne l’assujettissement des imaginaires symboliques aux valeurs marchandes, tenues pour seules porteuses de ce qui vaut, et à une anthropologie implicite faisant de l’homme un agent égoïste cherchant en permanence à maximiser de façon rationnelle son meilleur intérêt. Bref, toute civilisation est un Janus Bifron. Le déchainement des abominations ou l’accumulation de bienfaits ne sont pas propres à l’Europe qui se singulariserait plutôt par sa démesure en étant à l’origine d’un nivellement pas le bas planétarisé.
Mais revenons, justement, à l’origine. « Nous autres, Grecs, risquons notre vie sur des bateaux qui font eau, sur des chameaux, des éléphants pour nous rendre par tous les moyens possibles dans les parties les plus incroyables de la terre et interroger d’autres peuples sur leur façon de vivre, leur demander qui ils sont, ce que sont leurs lois. Aucun d’eux ne nous a jamais visités »[5]. Certes les visites européennes ne sont pas toujours de courtoisie. Mais apparaît par là-même « la spécificité, la singularité et le lourd privilège de l’Occident : […] on est capable en Occident, du moins certains d’entre nous, de dénoncer le totalitarisme, la traite des Noirs ou l’extermination des Indiens d’Amérique. Mais je n’ai pas vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois faire une autocritique analogue. […]. On parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIè siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage ont été introduites en Afrique par des marchands arabe à partir du XIè-XIIè siècle (avec, comme toujours, la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), et que l’esclavage n’a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu’il subsiste toujours dans certains d’entre eux. Je ne dis pas que cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci : que la spécificité de la civilisation occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s’autocritiquer. […] Il n’y a que l’Occident qui a crée cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées »[6].
La civilisation européenne, comme toute autre civilisation, est constituée de prestiges et d’horreurs. Mais elle a pu engendrer l’esprit européen : l’introduction et institutionnalisation de l’esprit critique. Définissons le plus précisément comme la capacité de l’Europe « à se mettre elle-même en question, à sortir de son exclusivisme, à vouloir se regarder avec les yeux des autres »[7]. Autrement dit encore : la critique de soi et des autres par décentrement[8]. En quoi est-ce faire preuve de supériorité ? En ce qu’il s’agit d’un dépassement – ou d’une vocation au dépassement – de tous les particularismes, même civilisationels.
On objectera que certains font preuve de ce même esprit sans pour autant être européens. Mais c’est précisément que l’esprit européen les a touchés ! Il en est ainsi aujourd’hui ; comment cela eut-il été possible auparavant ? Les civilisations sont autocentrées et quand d’aventure elles rencontrent une différence elles la suppriment ou la nient. « Jusqu’à la Grèce, et en dehors de la tradition gréco-occidentale, les sociétés sont instituées sur le principe d’une stricte clôture : notre vision du monde est la seule qui ait un sens et qui soit vraie – les ‘‘autres’’ sont bizarres, inférieurs, pervers, mauvais, déloyaux, etc. […] Le véritable intérêt pour les autres est né avec les Grecs, et cet intérêt n’est jamais qu’un autre aspect du regard critique et interrogateur qu’ils portaient sur leurs propres institutions »[9].
Ainsi les européens d’aujourd’hui, qui ne retiennent de la critique que celle de soi en restant soigneusement aveugles à celle des autres, sont-ils les demi-esprits de l’Europe. Leur mauvaise conscience unilatérale renforce comme par vase communiquant, la bonne conscience d’accusations elles aussi unilatérales (incidemment, cela explique qu’on ne puisse intégrer des gens qui n’aiment pas la France dans une France qui ne s’aime pas elle-même). Ces demi-esprits cautionnent le pire au nom des bons sentiments.
Pourtant lorsqu’ils disent : « ‘‘il faut respecter les autres traditions’’, on dit en fait : ‘‘ce serait terrible pour nous, mais c’est bon pour ces sauvages’’ ; par conséquent, ce qu’on exprime, c’est moins le respect que le mépris des autres traditions »[10]. Honorer véritablement les autres traditions légitime tout au contraire un combat contre les obscurantismes et le découragement des fausses excuses.
C’est pourquoi nous autres, européens dignes de ce nom, mobilisons nous pour déclencher une nouvelle guerre coloniale des imaginaires. Partons même à la reconquête du monde en déclenchant une guerre mondiale. Car « on ne peut présenter l’esprit critique européen comme valable seulement à l’intérieur des frontières culturelles de l’Europe. Il doit forcément s’accompagner d’un certain prosélytisme. Nous devons en être les propagandistes et attendre des autres peuples ou cultures qu’ils nous imitent. S’ils ne le font pas, s’ils ne nous rendent pas la pareille sur ce point, nous n’allons évidemment pas les y obliger, mais nous ne pourrons pas ne pas éprouver pour eux un sentiment de mépris, allant de pair avec notre fierté. De celle-ci, nous ne devons pas nous sentir coupable. Et c’est même, en premier chef, cette honte à être fier que nous devons surmonter »[11]. Guerre spirituelle totale !

Un idiot (fait de tous les idiots et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui). 






[1] Jacques Dewitte, L’exception européenne. Ces mérites qui nous distinguent, Paris, Michalon, 2008, p. 72.
[2] Leszek Lolakowski, « Où sont les barbares ? Les illusions de l’universalisme culturel », Le village introuvable, Bruxelles, Complexe, 1986, p. 102
[3] Paul Valéry, « La crise de l’Esprit », 1919.
[4] Martin Heidegger, Approche de Hölderlin, Paris, Gallimard, 1973, p. 230.
[5] Georges Steiner, « Totem ou tabou », De la Bible à Kafka, Paris, Hachette, 2001, p. 96.
[6] Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, Paris, Seuil, 1996, p. 93-94. Sur les traites voir depuis les ouvrages d’Olivier Pétré-Grenouilleau tant qu’ils ne sont pas mis à l’index.
[7] Leszek Kolalowski, Le village introuvable, op. cit.,  p. 106.
[8] Sur cette articulation voir Léo Strauss, Droit naturel et histoire, Paris, Flammarion, 1986, p. 85-87.
[9] Cornélius Castoriadis, Domaines de l’homme, Paris, Seuil, 1986, p. 263.
[10] Leszek Kolalowski, Le village introuvable, op. cit., p. 110.
[11] Jacques Dewitte, L’exception européenne, op. cit., p. 74. 

2 commentaires:

  1. Merci pour cette analyse.

    Et comme tu l'indiques avec l'illustration, le chef opérationnel de la propagande est américain, alors que la censure, qui s'auto-flagelle, c'est l'Europe institutionnelle.

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  2. Et l'ennemi floué est le musulman qui va manger à MacDo...

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