mercredi 4 juillet 2012

Alain de Benoist, intellectuel radical (3)



Le temps de la maturité 


         Au début des années 1990, commence à émerger un corpus intellectuel dense et cohérent qui s’articule autour de deux noyaux durs. Primo, une conception moniste du monde qui réfute toute métaphysique supérieure au profit d’une acceptation de la vie comme « jaillissement vital, floraison organique, dyonisiaque » (p. 182). Deuxio, une valorisation du multiple et de la diversité contre l’idéologie du même qui s’incarne tout spécialement dans l’universalisme occidentalo-centré des droits de l’homme. Dès lors, on comprend mieux la persistance d’Alain de Benoist quant à sa défense du polythéisme des valeurs (et non pas de la religiosité païenne) par opposition au monothéisme religieux. On pourra seulement reprocher à celui qui considère la croyance comme faisant partie de « l’équipement mental de l’homme » d’envisager le christianisme sous un angle essentiellement intellectuel.  




En tout état de cause, ce noyau dur lui permet de reprendre et d’affiner plusieurs thématiques qui restaient auparavant trop tranchées : la critique de l’égalitarisme (et non de l’égalité), les fonctions du mythe (par rapport au logos), la notion de vertu (au regard de la morale), etc. Il serait fastidieux de reprendre ici les nombreux sujets abordés, auxquels il faut ajouter l’interprétation subtile de plusieurs grands penseurs et l’analyse pénétrante des faits d’actualité, qui répondent toujours à ce souci de concilier les points de vue contraires pour faire émerger une synthèse éclairante.   

Nous voudrions plutôt mettre l’accent sur deux apports décisifs, et plus tardifs, qui creusent encore le sillon philosophique d’Alain de Benoist. Tout d’abord, la lecture de l’œuvre de Heidegger qui constitue un « tournant essentiel » opéré au début des années 1980. En inscrivant la métaphysique de la subjectivité au cœur de l’entreprise moderne, le philosophe allemand déconstruit l’idéal d’un sujet auto-référencé, inventeur de lui-même dans un monde considéré comme le simple réceptacle de sa volonté toute puissante (hubris). Il en résulte un nihilisme larvé que la sécularisation prolonge et la techno-science accomplit. C’est également l’occasion pour de Benoist de rappeler sa conception dynamique de l’histoire : l’homme est un être en devenir qui ne peut concevoir sa destinée que dans un temps donné et un espace déterminé. Une nouvelle fois, l’universalisme est critiqué en raison de son approche niveleuse et totalisante. Or, « nul n’est citoyen du monde, même s’il en a la prétention, car on ne peut être citoyen que d’une entité politique, ce que le monde n’est pas » (p. 183).   

 Le deuxième apport est plus hétéroclite et renvoie à ce que certains ont parfois jugé comme le « virage à gauche » de la Nouvelle droite. En effet, de Benoist entame une critique générale du libéralisme qui le fait relire les grands théoriciens du socialisme avec une prédilection pour l’œuvre de Karl Marx et une attention particulière pour celle de Georges Sorel. Il approfondit encore son diagnostic en soulignant la dimension anthropologique d’un système qui réduit l’homme à son intérêt immédiat, et la société à sa matérialité extérieure. On s’étonnera ou, pour le moins, on regrettera que les liens tissés avec Alain Caillé se soient distendus au fur et à mesure que de Benoist était ostracisé, alors même que ce dernier a toujours relayé les analyses produites par le MAUSS. Les références à Christopher Lasch et, plus récemment, à Jean-Claude Michéa répondent à la même préoccupation et finissent par identifier le libéralisme, pris dans toutes ses composantes (politique, économique et sociétal), comme l’adversaire politique par excellence.

Alain de Benoist est-il pour autant devenu un penseur de gauche ? Ce sera l’objet de notre conclusion. 

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire