Le temps de la maturité
Au
début des années 1990, commence à émerger un corpus intellectuel dense et
cohérent qui s’articule autour de deux noyaux durs. Primo, une
conception moniste du monde qui réfute toute métaphysique supérieure au profit
d’une acceptation de la vie comme « jaillissement vital, floraison
organique, dyonisiaque » (p. 182). Deuxio, une valorisation du
multiple et de la diversité contre l’idéologie du même qui s’incarne tout
spécialement dans l’universalisme occidentalo-centré des droits de l’homme. Dès
lors, on comprend mieux la persistance d’Alain de Benoist quant à sa défense du
polythéisme des valeurs (et non pas de la religiosité païenne) par opposition
au monothéisme religieux. On pourra seulement reprocher à celui qui considère
la croyance comme faisant partie de « l’équipement mental de
l’homme » d’envisager le christianisme sous un angle essentiellement
intellectuel.
En tout état de cause, ce
noyau dur lui permet de reprendre et d’affiner plusieurs thématiques qui
restaient auparavant trop tranchées : la critique de l’égalitarisme (et
non de l’égalité), les fonctions du mythe (par rapport au logos), la notion de
vertu (au regard de la morale), etc. Il serait fastidieux de reprendre ici les
nombreux sujets abordés, auxquels il faut ajouter l’interprétation subtile de
plusieurs grands penseurs et l’analyse pénétrante des faits d’actualité, qui
répondent toujours à ce souci de concilier les points de vue contraires pour
faire émerger une synthèse éclairante.
Nous voudrions plutôt
mettre l’accent sur deux apports décisifs, et plus tardifs, qui creusent encore
le sillon philosophique d’Alain de Benoist. Tout d’abord, la lecture de l’œuvre
de Heidegger qui constitue un « tournant essentiel » opéré au début
des années 1980. En inscrivant la métaphysique de la subjectivité au cœur de
l’entreprise moderne, le philosophe allemand déconstruit l’idéal d’un sujet
auto-référencé, inventeur de lui-même dans un monde considéré comme le simple
réceptacle de sa volonté toute puissante (hubris). Il en résulte un
nihilisme larvé que la sécularisation prolonge et la techno-science accomplit.
C’est également l’occasion pour de Benoist de rappeler sa conception dynamique
de l’histoire : l’homme est un être en devenir qui ne peut concevoir sa
destinée que dans un temps donné et un espace déterminé. Une nouvelle fois,
l’universalisme est critiqué en raison de son approche niveleuse et
totalisante. Or, « nul n’est citoyen du monde, même s’il en a la
prétention, car on ne peut être citoyen que d’une entité politique, ce que le
monde n’est pas » (p. 183).
Le deuxième apport est plus hétéroclite et
renvoie à ce que certains ont parfois jugé comme le « virage à
gauche » de la Nouvelle droite. En effet, de Benoist entame une critique
générale du libéralisme qui le fait relire les grands théoriciens du socialisme
avec une prédilection pour l’œuvre de Karl Marx et une attention particulière
pour celle de Georges Sorel. Il approfondit encore son diagnostic en soulignant
la dimension anthropologique d’un système qui réduit l’homme à son intérêt
immédiat, et la société à sa matérialité extérieure. On s’étonnera ou, pour le
moins, on regrettera que les liens tissés avec Alain Caillé se soient distendus
au fur et à mesure que de Benoist était ostracisé, alors même que ce dernier a
toujours relayé les analyses produites par le MAUSS. Les références à
Christopher Lasch et, plus récemment, à Jean-Claude Michéa répondent à la même
préoccupation et finissent par identifier le libéralisme, pris dans toutes ses
composantes (politique, économique et sociétal), comme l’adversaire politique
par excellence.
Alain de Benoist est-il
pour autant devenu un penseur de gauche ? Ce sera l’objet de notre
conclusion.
(à suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire