En parlant du dernier
ouvrage d’Alain de Benoist, Mémoire vive, avec des amis proches, j’ai pu
avoir un aperçu de sa réception quelque peu ambivalente. Le premier, proche des
idées du Front national, se montrait déçu voire particulièrement irrité de son
évolution intellectuelle, laquelle lui semblait renier son positionnement
ancien et très à droite de l’échiquier politique. Le second, inscrit dans la
mouvance du Front de gauche, réagissait par une condamnation sans appel de
celui qu’il considérait comme le mentor intellectuel de l’extrême droite. Ces
deux jugements contradictoires révèlent la difficulté d’un itinéraire qui,
parti des franges radicales de la droite, s’est très largement ouvert à la
pensée critique de gauche. Aussi répondais-je à mes amis que le reniement aussi
bien que la condamnation ne rendaient pas justice à un labeur de plus de quatre
décennies qui repose, justement, sur une grande honnêteté intellectuelle – que
l’on soit d’accord ou non avec ses développements successifs.
Il me semble que Mémoire vive
arrive à point nommé pour tenter d’établir le bilan d’un épisode non
négligeable de l’histoire intellectuelle française. L’ouvrage qui se présente
sous la forme d’un entretien (avec François Bousquet) débute par un premier
chapitre clairement autobiographique. Si les lecteurs réguliers d’Alain de
Benoist y trouveront des éléments plus ou moins intéressants sur sa famille et
son enfance, les autres jugeront cette introduction plutôt rébarbative. On
retiendra que cet enfant solitaire et discret, issu d’une famille de la moyenne
bourgeoisie, a été très tôt atteint d’un désir insatiable de connaissance qui
s’apparentait parfois à une boulimie intellectuelle : cinéma, littérature,
musique, etc. Passé ce chapitre, commence la véritable autobiographie d’Alain
de Benoist tant sa destinée épouse le domaine des idées ; autrement dit,
son chemin de vie est d’abord et avant tout un chemin de pensée que l’on peut
diviser en trois périodes successives.
Le temps de l’action
Les entretiens qui ont accompagné la sortie de l’ouvrage ont
parfois laissé l’impression que de Benoist relativisait beaucoup son engagement
de jeunesse au sein de la droite radicale française ; engagement qu’il
limite à 5 années (de 16 à 23 ans), ce qui nous paraît assez discutable dans le
sens où les débuts du GRECE s’inscrivent très clairement dans le sillage de la
droite radicale.
Heureusement,
Mémoire vive n’opère pas une relecture de ce passé quelque peu
encombrant et situe sans ambiguïté son auteur dans la galaxie de l’extrême
droite. Il serait d’ailleurs difficile de le nier tant les auteurs revendiqués
(Maurice Barrès, Alexis Carrel, etc.), les personnalités rencontrées (Pierre
Sidos, Dominique Venner, Jean Mabire, etc.) que les groupes investis
(Fédération des étudiants nationalistes et Europe-Action) appartiennent au
segment le plus radical de la droite. Dès lors, on peut difficilement partager
le sentiment de Michel Bousquet lorsqu’il s’interroge sur le concours de
circonstances qui a fait d’Alain de Benoist quelqu’un de droite, soit « la
rencontre d’un vieil homme [Henry Coston] qui cherchait un peu d’aide et d’un
jeune homme qui cherchait à écrire » (p. 62). Quand on connaît le passé
antisémite du vieil homme, acharné à bien des égards, on aurait aimé en savoir
un peu plus sur cette rencontre et surtout sur l’influence qu’elle a pu avoir
sur un jeune homme de 16 ans.
En
tout état de cause, de Benoist ne fait pas mystère de son passé de militant
nationaliste révolutionnaire qui, dans le contexte des années 1960, lorgne du
côté de l’OAS et de l’activisme armé. Il en retient la vigueur de l’idéal et la
rigueur de la discipline tout en regrettant les idées « assez
courtes », dont le racisme qui fut la « grande erreur
d’Europe-Action » (p. 78). Avec celui qui apparaît comme l’un de ses plus
proches compagnons d’armes, François d’Orcival (futur directeur de Valeurs
actuelles !), il coordonne plusieurs feuilles de liaison, rédige ses
premiers articles et entame une série de voyages en France et à l’étranger qui
en font, déjà, un intellectuel organique. Les rencontres, dont celle
déterminante de Louis Rougier, finissent de le persuader de la nécessité du
combat intellectuel. En 1966, il tourne définitivement le dos à l’action
politique et à l’extrême droite dont les contours idéologiques lui semblent
bien friables au regard du monde qui vient. Commence alors, à l’âge de 23 ans,
une nouvelle vie qui, tout en plongeant ses racines dans l’ancienne, tente de
frayer de nouveaux chemins.
Le temps de la réflexion
En
dépit de son jeune âge, de Benoist bénéficie d’une légitimité assez forte pour
réunir une vingtaine d’amis (essentiellement issus d’Europe-Action) autour de
lui afin de lancer la revue Nouvelle École et de créer, peu de temps
après, le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation
européenne). Si les frontières sont encore floues avec l’extrême droite d’une
part et l’action politique d’autre part, un terme peu utilisé dans la langue
française permet d’entrevoir le combat sous de nouvelles latitudes : la
« métapolitique ». Cela consiste « à porter sur les choses un
regard théorique engagé, sans se donner d’objectif politique particulier »
(p. 112). Si l’origine du terme remonte à Joseph de Maistre (métaphysique du
politique), sa théorisation sous l’expression « hégémonie
culturelle » provient de Gramsci tandis que sa mise en pratique est plus
ancienne puisque l’Action française en avait élaboré les modalités dès le début
du XXè siècle. Au départ, de Benoist voyait d’ailleurs le GRECE
comme une « synthèse de l’École de Francfort, de l’Action française et du
CNRS » (p. 109).
Si
l’ambition est grande, les réalisations sont plus modestes. Ainsi, les
premières années du GRECE, qui essaime dans plusieurs grandes villes
universitaires, offrent surtout l’opportunité à son principal inspirateur de
mettre de l’ordre dans ses idées. Fidèle à son tempérament, il multiplie les
lectures jusqu’à satiété, au risque de se perdre dans certaines impasses comme
le biologisme – abandonné par la suite. Plusieurs noms finissent tout de même
par émerger de ce maelström intellectuel pour donner consistance à cette
nouvelle culture européenne que le GRECE appelle de ses vœux.
Le premier axe est celui
de l’Europe et repose essentiellement sur l’œuvre de Georges Dumézil. La
possibilité d’établir la généalogie des Indo-Européens, comme de repérer ses
empreintes anthropologiques (société tripartite), permet de s’affranchir
définitivement d’un nationalisme français étriqué pour se donner aux grands
vents de l’impérialisme européen. À tel point que la reprise et parfois
l’instrumentalisation du mythe indo-européen sert de moteur à un nationalisme
élargi dont les racines se trouvent bien dans la pensée de l’extrême droite et,
plus précisément, dans l’œuvre de Julius Evola. Le prisme païen découle
naturellement de cette lecture ancestrale même si de Benoist va très largement
l’affiner au fil des années pour en faire une grille d’analyse féconde.
Le deuxième axe tourne
autour du rapport à la rationalité et du positionnement vis-à-vis des sciences
modernes. Plus complexe à délier, il finit par prendre forme avec la lecture
d’un penseur original, le physicien Stéphane Lupasco, pour qui la logique
contradictorielle se situe au cœur de la cognition humaine. Cette volonté de
dépasser les oppositions binaires pour aboutir à une pensée de l’hétérogène, de
la diversité et de la différenciation constituera par la suite un invariant de
la démarche d’Alain de Benoist et se traduira par une indéniable ouverture
d’esprit. La polémologie de Julien Freund relève à certains égards de cette
conception dynamique de l’histoire : le politique étant conçu à partir
d’une série de relations (commandement/obéissance, privé/public, ami/ennemi)
qui en font un champ propre de l’activité humaine. L’influence de Rougier et
celle, plus étonnante, de Raymond Abellio permettent également de sortir par le
haut du scientisme des premières années. La science moderne est moins critiquée
que remise en perspective dans une dynamique créatrice avec la volonté
d’accoucher d’un nouveau mode de connaissance – thématique développée par
Abellio.
Le troisième axe tourne
autour du rapport culture/nature et peut se résumer dans une phrase de
l’anthropologue Arnold Gehlen : « La position singulière de l’homme
est d’être par nature un être de culture » (p. 177). Aussi l’histoire
est-elle toujours en mouvement puisque l’homme n’étant pas naturellement
(instinctivement) conditionné par son environnement, il est toujours obligé de
s’adapter et, donc, de façonner son habitat en fonction de son imaginaire
social. D’où la diversité des cultures. De là provient la critique de
l’Occident considéré comme une entreprise d’uniformisation du monde (culture de
la « mêmeté »), ainsi que la réflexion de plus en plus approfondie
sur la légitimité populaire et le républicanisme civique. C’est toujours aux
citoyens qu’il revient de poser les fondements du bien commun, et de les mettre
en pratique dans une forme de gouvernement spécifique.
Ces différents axes, que
l’on aurait pu démultiplier tant les thématiques abordées par de Benoist sont
nombreuses et diverses, se réunissent dans une première synthèse ambitieuse
publiée sous le titre Vu de droite en 1977. L’ouvrage marque les esprits
et reçoit le Grand Prix de l’Essai de l’Académie française – de Benoist reçoit
également plusieurs lettres élogieuses dont une signée de François Mitterrand.
Au grand étonnement de celui qui n’a découvert ces livres qu’au début des
années 1990 (dont je suis), l’auteur de Vu de droite connaît alors une
notoriété croissante qui le voit intégrer les grandes coteries du monde
intellectuel (invitations de Jacques Chancel et d’Anne Sinclair, débat avec
Raymond Aron et Michel Tournier, émission quotidienne à France Culture, etc.)
et rencontrer les personnalités influentes de la capitale (Bernard-Henri Lévy,
Philippe Sollers, Jacques Monod, etc.). Nous sommes ici très loin de
l’ostracisme qu’il subira par la suite.
Après avoir intégré les
colonnes du Figaro Magazine avec plusieurs autres « plumes »
du GRECE, son influence grandissante attise les jalousies et les tensions
jusqu’au déclenchement d’une véhémente campagne de presse orchestrée par Le
Monde à la fin de l’année 1979. C’est à ce moment seulement que l’étiquette
« Nouvelle droite » lui est accolée à des fins stigmatisantes –
étiquette qui sera par la force des choses reprise et qui désignera par la
suite toute la mouvance issue du GRECE. Cette campagne atteindra son point
culminant avec l’attentat de la rue Copernic attribuée à l’influence néfaste de
la Nouvelle droite et à l’attaque d’un colloque du GRECE organisé au palais des
Congrès.
Non
sans avoir subi les
pressions amicales de grands groupes financiers pour se mettre au
service de la
droite capitaliste, de Benoist est progressivement lâché par ses
principaux
soutiens, en premier lieu celui de son employeur et ami Louis Pauwels,
tandis
que plusieurs de ses proches sont évincés de la presse à grand tirage.
Il
s’ensuit de fortes tensions au sein même du GRECE quant à la stratégie à
suivre. Trois groupes suivent des options différentes : ceux qui sont
portés par
l’action politique cherchent à intégrer certaines franges de la
droite conservatrice et/ou à participer à l’éclosion du Font national ;
ceux qui privilégient la vie communautaire tendent à se
regrouper dans un « entre soi un peu clanique » ; ceux qui s'intéressent
vraiment aux idées veulent poursuivre le travail commencé avec Nouvelle École et Éléments. Naturellement, de Benoist appartient à la troisième catégorie et
parvient à donner un nouveau souffle à son projet intellectuel avec la création
de la revue Krisis en 1988.
Pour notre part, c’est à
cette date que nous situerions la véritable césure d'Alain de Benoist
avec le cadre idéologique de l’extrême droite, c’est-à-dire au moment même où
ses lectures s’agrègent dans un ensemble, certes foisonnant, mais non dénuée de
fondements communs.
Le temps de la maturité
Au
début des années 1990, commence à émerger un corpus intellectuel dense et
cohérent qui s’articule autour de deux noyaux durs. Primo, une
conception moniste du monde qui réfute toute métaphysique supérieure au profit
d’une acceptation de la vie comme « jaillissement vital, floraison
organique, dyonisiaque » (p. 182). Deuxio, une valorisation du
multiple et de la diversité contre l’idéologie du même qui s’incarne tout
spécialement dans l’universalisme occidentalo-centré des droits de l’homme. Dès
lors, on comprend mieux la persistance d’Alain de Benoist quant à sa défense du
polythéisme des valeurs (et non pas de la religiosité païenne) par opposition
au monothéisme religieux. On pourra seulement reprocher à celui qui considère
la croyance comme faisant partie de « l’équipement mental de
l’homme » d’envisager le christianisme sous un angle essentiellement
intellectuel.
En tout état de cause, ce
noyau dur lui permet de reprendre et d’affiner plusieurs thématiques qui
restaient auparavant trop tranchées : la critique de l’égalitarisme (et
non de l’égalité), les fonctions du mythe (par rapport au logos), la notion de
vertu (au regard de la morale), etc. Il serait fastidieux de reprendre ici les
nombreux sujets abordés, auxquels il faut ajouter l’interprétation subtile de
plusieurs grands penseurs et l’analyse pénétrante des faits d’actualité, qui
répondent toujours à ce souci de concilier les points de vue contraires pour
faire émerger une synthèse éclairante.
Nous voudrions plutôt
mettre l’accent sur deux apports décisifs, et plus tardifs, qui creusent encore
le sillon philosophique d’Alain de Benoist. Tout d’abord, la lecture de l’œuvre
de Heidegger qui constitue un « tournant essentiel » opéré au début
des années 1980. En inscrivant la métaphysique de la subjectivité au cœur de
l’entreprise moderne, le philosophe allemand déconstruit l’idéal d’un sujet
auto-référencé, inventeur de lui-même dans un monde considéré comme le simple
réceptacle de sa volonté toute puissante (hubris). Il en résulte un
nihilisme larvé que la sécularisation prolonge et la techno-science accomplit.
C’est également l’occasion pour de Benoist de rappeler sa conception dynamique
de l’histoire : l’homme est un être en devenir qui ne peut concevoir sa
destinée que dans un temps donné et un espace déterminé. Une nouvelle fois,
l’universalisme est critiqué en raison de son approche niveleuse et
totalisante. Or, « nul n’est citoyen du monde, même s’il en a la
prétention, car on ne peut être citoyen que d’une entité politique, ce que le
monde n’est pas » (p. 183).
Le deuxième apport est plus hétéroclite et
renvoie à ce que certains ont parfois jugé comme le « virage à
gauche » de la Nouvelle droite. En effet, de Benoist entame une critique
générale du libéralisme qui le fait relire les grands théoriciens du socialisme
avec une prédilection pour l’œuvre de Karl Marx et une attention particulière
pour celle de Georges Sorel. Il approfondit encore son diagnostic en soulignant
la dimension anthropologique d’un système qui réduit l’homme à son intérêt
immédiat, et la société à sa matérialité extérieure. On s’étonnera ou, pour le
moins, on regrettera que les liens tissés avec Alain Caillé se soient distendus
au fur et à mesure que de Benoist était ostracisé, alors même que ce dernier a
toujours relayé les analyses produites par le MAUSS. Les références à
Christopher Lasch et, plus récemment, à Jean-Claude Michéa répondent à la même
préoccupation et finissent par identifier le libéralisme, pris dans toutes ses
composantes (politique, économique et sociétal), comme l’adversaire politique
par excellence.
Alain de Benoist est-il
pour autant devenu un penseur de gauche ? Ce sera l’objet de notre
conclusion.
Conclusion
Il
faut absolument citer les dernières phrases de Mémoire vive qui, outre
leur dimension poétique, reflète la modestie d’un homme toujours en
chemin : « C’est à la fois beaucoup et très peu de choses une vie. À
peine un battement d’aile à la surface de l’eau » (p. 317). Certes, Alain de Benoist a été
« profondément affecté » par sa mise au ban du monde intellectuel
français. On le serait à moins après la publication de 90 livres, près de 2
000 articles et 350 entretiens. Mais sa réception épouse, nous semble-t-il, les
lignes d’une pensée plus souterraine, d'une pensée réellement dissidente. Et ce n’est pas
faire honneur à son exigence intellectuelle que d’espérer une reconnaissance
plus large, surtout dans une époque qui est un « mélange de correction
politique, d’hygiénisme puritain et d’hédonisme débraillé » (p. 309).
En
outre, de Benoist est toujours resté un intellectuel radical, c’est-à-dire un
intellectuel qui se situe dans les marges de la pensée dominante et qui puise
sa légitimité dans un rapport d’opposition systématique au pouvoir en place.
Sur ce point, la question de son positionnement politique dans l’arc
droite/gauche mérite d’être posée. Elle traverse d’ailleurs à plusieurs reprises
les pages de Mémoire vive. On le sait, de Benoist a très régulièrement
critiqué l’existence de ce clivage pour se présenter comme « un homme de
gauche de droite ou un homme de droite de gauche » (p. 271). Il n’a pas de
mots assez durs pour stipendier une droite superficielle et anti-intellectuelle
quand ses jugements paraissent souvent plus mesurés à l’égard d’une gauche
soi-disant plus cohérente avec elle-même.
Sur
ce point, nous nous risquerons à émettre un avis plus mitigé en partant d’une
question très simple : quelles sont les personnalités de gauche qui se
reconnaissent dans sa pensée et qui ont cheminé à ses côtés ? Ce qui
n’empêche pas ses lecteurs, en particulier les plus jeunes, de se situer
au-delà d’un clivage qui se dissout dans le libéralisme actuel. En définitive,
il serait facile de reprendre une formule de Drieu la Rochelle citée dans
l’ouvrage : « Faire une politique de gauche par des hommes de
droite ». Mais il n’est pas besoin d’être un grand clerc pour dire que
cette conception a un nom : le fascisme. Et de Benoist le sait très bien.
Aussi s’en défie-t-il, à juste titre.
En
revanche, il doit tout de même être possible de poser les fondations d’une
droite non progressiste – on n’ose même plus employer l’expression galvaudée de
« droite populaire » ! – qui se situerait ailleurs que la droite
libérale et que l’extrême droite identitaire. La remise en cause du
progressisme ne doit d’ailleurs pas être confondue avec le rejet du progrès,
mais comprise comme une attitude critique vis-à-vis de la croyance dans le
progrès. De Benoist n’écrit-il pas : « Nous entendons par principe
conservateur, non la défense de ce qui était hier, mais une vie fondée sur ce
qui a toujours de la valeur » (p. 220). Les tenants de la révolution conservatrice
allemande ne disaient pas autre chose. Et il serait sans doute possible, dans
le contexte actuel, d’esquisser des rapprochements avec une certaine gauche,
elle aussi non progressiste. Le corpus patiemment élaboré par de Benoist nous
paraît aller dans ce sens.
La
fin de l’ouvrage laisse également transparaître une autre facette de son
auteur, laquelle concerne peut-être moins le penseur que l’homme. Il est très
rare que de Benoist se laisse aller à des impressions fugaces, des jugements
subjectifs ; en règle générale, le théoricien garde la « tête
froide » pour analyser le monde qui se déplie sous ses yeux, et tenter
éventuellement d’en modifier la marche historique. Mais l’homme, comment vit-il
dans son temps ? Comment voit-il son époque ? On s’en doute, de Benoist
ne tient pas dans une grande estime le monde moderne. Mais nous ne pensions pas
trouver un jugement aussi sévère chez celui qui s’est toujours efforcé de
ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
« Les
imposteurs et les incultes sont certes de tous les temps, mais aujourd’hui ils
font fièrement leur “coming out”, sentant que leur heure est venue. Ce
triomphe de l’inculture et de l’imposture a quelque chose d’accablant. Il
associe, de façon assez typique, le nombrilisme, l’hypocrisie et la lâcheté.
[…] L’homme peut se grandir ou se diminuer lui-même, mais de nos jours tout le
pousse pour le moins à ne pas se grandir. Si la paranoïa a été la grande
maladie politique de la modernité, la maladie de la postmodernité est plutôt la
dépression. S’y ajoutent l’obésité et la maladie d’Alzheimer, dont la
progression rapide a valeur de symbole : nos contemporains deviennent de
plus en plus obèses et amnésiques. Bernard Stiegler va jusqu’à parler d’une
“tendance à énucléer tous les cerveaux humains de leur conscience et à les
ramener à un niveau d’activité cérébrale de mollusque”. Nous vivons dans une
époque fondamentalement déstructurée, invertébrée. Le rêve de l’homme actuel,
c’est l’indétermination et l’indistinction. […] Ce qui fait le plus défaut
aujourd’hui, ce sont les colonnes vertébrales. Et aussi le goût des cimes,
l’aspiration à un grand projet collectif. Nos contemporains croient vivre dans
un monde post-tragique. La métaphysique de la subjectivité a tout
emporté ». (p. 308-309).
Par delà le clivage
droite/gauche, de Benoist peut être considéré comme un véritable antimoderne au
sens qu’Antoine Compagnon donne à ce terme, c’est-à-dire un « moderne
malgré lui », un « moderne déniaisé », bref un « moderne en
liberté »[1]. Son grand
mérite est de ne jamais tomber dans la déploration de son époque et la
vitupération de ses contemporains – les réactionnaires ne sont que l’envers des
progressistes et par là même incapables de dépasser une certaine
« gloriole » dans la victimisation. Au contraire, de Benoist ne s’est
jamais appesanti sur son sort, et a toujours continué à défricher le terrain
des idées, à ouvrir des pistes pour l’avenir, à dessiner les contours d’une
société alterlibérale, bref, il a accompli ce pourquoi il était fait :
comprendre le monde, et le faire comprendre aux autres. Il n’a pas toujours été
écouté, souvent stipendié, mais l’on sait que l’histoire est ouverte, et
gageons que les deux mots d’ordre rappelés à la fin de l’ouvrage auront un bel
avenir : autonomie et diversité.
Vous l’aurez compris, la
lecture de Mémoire vive est tout simplement revigorante pour l’homme
libre ou, tout du moins, qui tente de l'être.
[1]
Antoine Compagnon, Les antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes,
Paris, Gallimard, 2005, p. 7, 8 et 14.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci pour le lien et le commentaire. L'article que vous citez est en effet intéressant. Il énonce en tout cas deux vérités auxquelles nous nous rattachons ici. 1) L'ennemi de De Benoist est l'universalisme. C'est en partie vrai et c'est le nôtre aussi. Ce que l'auteur appelle l'ethno-différentialisme de De Benoist peut aussi être assimilé à une défense de la notion d'altérité face au nivellement "multiculti". 2) Les positions de De Benoist heurtent de plein fouet une gauche qui doit repenser son logiciel pour lui faire face. En effet, une partie de la gauche, prisonnière d'un universalisme dogmatique qui détermine une quasi religion du langage performatif (ce qu'on appelle quelquefois par dérision la novlangue à tort ou à raison et sur laquelle Jaime Semprun à écrit un essai brillant) peine à renouveler son "logiciel", campée sur des positions quasi-inquisitoriales. C'est un peu le défaut de l'auteur de l'article que de retomber dans ce travers qui consiste à occulter l'évolution intellectuelle d'un auteur au bénéfice d'une tendance très soviétique à ne considérer dans une biographie que ce qui peut servir de preuve à charge doctrinale. Cette tendance est encore plus marquée dans le deuxième site dont vous indiquez le lien, où le procès d'intention politique et la pesanteur de la pensée binaire gauche-droite occupe tout l'espace, à longueur de commentaires. De Benoist peut-il aujourd'hui encore être considéré comme un auteur d'extrême-droite? A vrai dire, entreprendre de répondre à cette question implique de chausser les bésicles singulièrement étriquées d'une pensée clivante sentant la poussière et la naphtaline. A force de vouloir scruter l'identité de tout un chacun pour étiqueter à tour de bras, l'abus de lunettes finit par rendre aveugle l'apprenti commissaire politique. De Benoist est-il toujours d'extrême-droite? A vrai dire chez les idiots on s'en tape un peu. Il n'est pas impossible que le principal intéressé s'en contrefiche également.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerJ'ai suffisamment lu votre blog pour m'apercevoir que sa principale fonction est de dresser de longs réquisitoires politiques à propos de telle ou telle personnalité et d'engager dans les commentaires de longues discussions sur l'attitude ou le passé compromettant d'untel ou untel, avec des contradicteurs que vous finissez d'ailleurs souvent par injurier. Un genre d'exercice auquel personne ici n'a vraiment envie de participer.
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RépondreSupprimerOui, c'est très gentil de votre part de le citer et la critique avait été lue mais justement, et pour dire les choses très clairement, je vous ai répondu par politesse et surtout pour vous signaler que la question nous laisse complètement indifférents. Aux essayistes et aux penseurs nous ne demandons d'être des chefs de file politique. Ce n'est donc pas la peine de vous fatiguer à répondre.
RépondreSupprimerCordialement,
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RépondreSupprimerLes idées des essayistes ont un impact sur la constitution des discours politiques, certes. AdB n'a jamais caché ses engagements politiques passés, il en parle d'ailleurs très clairement dans "Mémoire vive". Vous pouvez chercher tant que vous voulez les preuves à charge contre lui dans son abondante bibliographie, cela ne sert à rien de vous contredire sur ce point de toute façon, vous en trouverez toujours de nouvelles, c'est pour cela qu'entamer la conversation à ce sujet me paraît parfaitement vain et futile. Il y a dans le corpus de pensée d'AdB beaucoup de réflexions sur la politique, la géopolitique, l'évolution de la technique, l'idée totalitaire qui sont extrêmement intéressantes. La complexité de son parcours politique a certainement enrichi cette réflexion. Qu'un Soral aille puiser un certain nombres de thèmes chez AdB pour fabriquer sa tambouille faite de complotisme, de mégalomanie et d'antisémitisme, c'est malheureux mais ça n'enlève en rien l'intérêt que nous portons toujours à la réflexion d'AdB dans laquelle on peut aussi puiser avec le sens critique que réclame la lecture de chaque auteur. Si vous pensiez trouver ici des soraliens excités qui vous accableraient de leurs vociférations, je peux vous dire que vous avez vraiment frappé à la mauvaise porte. Je ne vois pas quoi vous dire de plus à par vous assurer que je suis en effet un rêveur bien content de l'être, bref un véritable idiot quoi.
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SupprimerOui c'est exactement ça. J'ai 14 ans j'adore le skate, Counter Strike et Rihanna. Toi vieux sage très intelligent, très cultivé mais un peu dur d'oreille quand même. Toi rien pouvoir pour moi. Toi enfin compris. Au revoir.
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RépondreSupprimerMézigue, je vais être clair une bonne fois pour toute avec vous. Votre vendetta personnelle contre Alain de Benoist ne nous concerne pas. Que vous ayez été proche de la ND et que vous éprouviez le besoin de régler des comptes à ce sujet ne nous intéresse pas. Personne ici ne révère béatement AdB et votre haine aveugle vis à vis de cet auteur semble vous empêcher de comprendre que l'on puisse s'intéresser à certains aspects d'une pensée sans nécessairement sombrer dans le suivisme. Personne ici ne prétend émettre des jugements justes sur tout et personne ici n'a envie de supporter plus longtemps votre sectarisme et l'étalage de votre suffisance. Retournez à vos obsessions et à vos fiches et foutez-nous la paix une bonne fois pour toute.
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