La première réalisation d’Alessandro Comodin, L’été de Giacomo (sur les écrans depuis une quinzaine de jours),
est un film documentaire consacré à un sourd, récemment opéré, qui
retrouve le bruit de vivre. Cela n’est qu’un prétexte à une
longue déambulation entre deux adolescents qui se donnent au soleil écrasant de
l’été, le plus souvent près d’un bout de plage perdu au fond d’un bois touffu.
Le bruit des insectes, des pas qui craquèlent dans le chemin boisé, des peaux
qui s’effleurent, cela pourrait faire jaillir une poésie brute comme une
musique concrète. Pourtant, le film est plus âpre, comme un documentaire, comme
la réalité : les moustiques grésillent de toutes parts, une branche morte
sort de l’eau, le sable est vaseux, etc.
Ce cadre est tout simplement réel, sans mise en abîme formelle, et accueille le véritable sujet du film : les vacances de deux adolescents qui partagent des moments, ni beaux ni laids, à travers lesquels montent doucement, presque subrepticement, la petite vague désirante, que l'on n'ose pas appeler amour. Une étrange mélancolie étreint le spectateur qui se rappelle de ces moments fugaces où l'on ne sait trop que faire de cette pulsion embarrassante. Le garçon est volontiers cru dans son expression, et masque son désir dans une bravade qui tourne souvent à la brusquerie. La fille est beaucoup plus silencieuse, à la fois distante et proche, et goûte ce plaisir nouveau au fil des situations. Elle est instinctive quand, lui, se réfugie dans les mots.
Ce
petit jeu du chat et de la souris, tout empreint de maladresses, se poursuit dans diverses saynètes : au bord de l’eau, autour d’une batterie, au
milieu d’un bal populaire ou dans une fête foraine. Il n’y a pas d’amour entre
ces jeunes gens, mais la chair qui palpite, les mots qui trébuchent, les regards
qui se croisent. Le romantisme n’appartient pas au monde de l’adolescence, sauf
dans les mauvaises représentations. Le désir est brut, jusqu’à ce moment où il
est prêt à s’exprimer, parce que la situation l’impose. La jeune fille sort de
l’eau avec du sable dans les yeux, le jeune garçon la regarde tendrement :
tout en elle attend le baiser quand lui ne sait trop comment s’y prendre (scène
ci-dessous). Quelques phrases, et il est déjà trop tard. Le désir s’est enfui,
et le destin poursuit sa marche, et la mélancolie vient.
Mais
ce moment, ils l’ont partagé, comme un secret. Personne ne sait d’où il vient,
ni comment le reproduire. L’amour était là, dans son matériau brut. Et
lorsqu’ils reviennent de leur échappée, ils goûtent l’ivresse de la nature en
mouvement. Ils sont heureux, ils ont été amoureux sans même le savoir.
Étrangement,
et très justement, le dernier quart d’heure du film montre l’amour que le jeune
garçon partage avec une autre jeune fille, un peu sourde comme lui. Le
sentiment est comme sorti de sa taverne – après l’initiation ? – et il
tisse sa toile entre les deux cœurs. La jeune fille raconte comment, le désir
montant, elle a entraîné ce jeune homme dans l’union des corps. Et le regrette presque, malgré son inéluctabilité. L’innocence s’est enfuie pour laisser la
place à la mélancolie du souvenir. Après, ce n’est plus jamais pareil. Bataille
ne disait-il pas que l’union est comme une déchirure, une blessure qui ne se
referme jamais.
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