mercredi 25 juillet 2012

Chronique estivale de la BNF (1)


                La Bibliothèque Nationale de France est sans doute un des endroits les plus singuliers de Paris. Par son architecture même, qui semble n’avoir pas plus été conçue pour accueillir la plus grande concentration d’ouvrages au monde que pour offrir un asile aux armées de lecteurs et de chercheurs qui s’y précipitent. Il se raconte que l’architecte qui a dessiné les plans des quatre tours monumentales qui constituent les immenses banques d’ouvrages n’a pas pensé un seul instant, en laissant libre cours à son amour du verre et de l’acier, que quelques précieux écrits risquaient de souffrir rapidement de la morsure du soleil et que les incunables ne bronzent pas comme les vacanciers à Ibiza. Il a donc fallu en toute hâte installer ces panneaux de bois pivotant qui protègent les livres de la lumière du jour ainsi que des régulateurs thermiques. Le jour où notre civilisation s’écroulera, et que les régulateurs tomberont en panne, on a au moins l’assurance que notre patrimoine culturel ne nous survivra pas longtemps.

L'étoile noire peut aller se rhabiller...

            La dalle elle-même qui supporte ces quatre tours, et délimite tout le périmètre occupé par les bureaux et les salles de lecture, tient à la fois de l’expérience de sociologie comportementale et du surréalisme technicien. En son centre s’ouvre une impressionnante fosse qui permet au visiteur de plonger son regard sur une forêt de conifères qui plonge ses racines au niveau des salles de recherches dont les couloirs vitrés ceinturent cet étrange sous-bois, loin en contrebas. On raconte là encore qu’un petit malin avait réussi à introduire dans cet étrange asile végétal perdu au milieu du béton deux lapins et un canard dont les chercheurs qui traversaient les longs couloirs feutrés avaient pu découvrir, un peu médusés, la présence de l’autre côté de la vitre et s’étaient mis à guetter avec impatience les apparitions, comme si le règne animal n’était plus représenté que par ces trois derniers rescapés de l’Arche mitterrandienne. Il y a dans la BNF un petit côté Fahrenheit 451.





            En hiver, la dalle de la BNF se transforme en un piège mortel. Elle devient l’esplanade de la mort. Son architecture l’expose particulièrement à la morsure des vent glacés dont la disposition des tours et des différentes cloisons de métal accentue la violence et la rigueur. Le revêtement de bois se couvre rapidement de véritables congères, pour peu qu’il pleuve ou neige de façon très légère, que les vents tourbillonnants et glacés se chargent de transformer en une mer de glace dont aucun épandage de sel ne peut venir à bout. A cette période de l’année, la dalle de la BNF assure en réalité une forme de sélection naturelle visant sans doute à désengorger quelque peu l’Université en faisant grimper en flèches les statistiques de la grippe hivernale, des bronchites, trachéites, voire de la tuberculose, sans compter les bras, coude, genoux et cols du fémur brisés ou les accidents plus tragiques. Chaque hiver on peut voir ainsi de minces files de professeurs, chercheurs et étudiants cherchant avec inquiétude à la queue leu leu un chemin à peu près sûr au milieu du verglas et se rencognant avec un rictus de douleur dans leur cache-nez quand une bourrasque polaire vient leur arracher le visage.

Now it's time to die, brainy....

            Pour un certain nombre de ceux qui la fréquentent régulièrement et depuis plusieurs années, la BNF a gagné plusieurs surnoms. Celui que je préfère restant encore « La zone 51 ». Après avoir réussi à trouver quel détour il convient d’emprunter pour accéder à l’entrée ouest ou est, le visiteur se verra accueilli par un service de sécurité pointilleux qui se montrera selon les cas tout à fait prévenant ou préférera en revanche mourir que de révéler cette information capitale que les pièces de monnaie ne font pas sonner le détecteur et qu’il est donc inutile d’explorer ses poches pendant dix minutes à la recherche de la dernière pièce de un centime. L’entrée dans l’univers du rez-de-jardin, après avoir poussé deux monumentales portes métalliques à double battant, place le visiteur en face d’une architecture démente. Loin au-dessus de lui s’élève une passerelle de béton vers une salle supérieure, encore largement en contrebas du plafond démesurément haut, et, à ses pieds, deux escalators semblent pouvoir l’amener au centre de la terre. Tout autour, derrière les murs de béton, on sent vrombir une vie mystérieuse et mécanique, alors qu’à tout moment, au plus profond des entrailles du monstre, s’ouvrent et se referment des trappes laissant passer de petites nacelles automatisées transportant à toute vitesse vers les banques de salle les milliers d’ouvrages commandés chaque jour par des lecteurs de William Blake ou d’Averroès, des spécialistes des véhicules amphibies de l’armée rouge de 1973 à 1987, des ingénieurs en hydro-électrique ou des chercheurs étudiant la variation des populations de vache pie laitière en Bretagne entre 1750 et le début du XXe siècle. Brasil. Brasil…Mais où se cache donc Sam Lowry ?


(A suivre)

2 commentaires:

  1. Bonjour !

    J'ai découvert cet article via Twitter (je ne sais plus qui l'a partagé, je ne vais donc pas pouvoir le dénoncer), et je trouve cette description de cette gigantesque malfaçon en bord de Seine des plus exactes. La ressemblance avec Brazil ne m'avait jamais frappé, mais je sens que je ne vais plus pouvoir me l'ôter de l'esprit à présent...

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  2. Merci pour le commentaire et pour en rajouter, la petite mélodie qui ne vous quitte plus quand vous commencez à la chantonner (à l'entrée de la BNF par exemple...):
    "Brazil, tomorrow was another day
    Morning found me miles away
    With still a million things to say..."

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