En parlant du dernier
ouvrage d’Alain de Benoist, Mémoire vive, avec des amis proches, j’ai pu
avoir un aperçu de sa réception quelque peu ambivalente. Le premier, proche des
idées du Front national, se montrait déçu voire particulièrement irrité de son
évolution intellectuelle, laquelle lui semblait renier son positionnement
ancien et très à droite de l’échiquier politique. Le second, inscrit dans la
mouvance du Front de gauche, réagissait par une condamnation sans appel de
celui qu’il considérait comme le mentor intellectuel de l’extrême droite. Ces
deux jugements contradictoires révèlent la difficulté d’un itinéraire qui,
parti des franges radicales de la droite, s’est très largement ouvert à la
pensée critique de gauche. Aussi répondais-je à mes amis que le reniement aussi
bien que la condamnation ne rendaient pas justice à un labeur de plus de quatre
décennies qui repose, justement, sur une grande honnêteté intellectuelle – que
l’on soit d’accord ou non avec ses développements successifs.
Il me semble que Mémoire vive
arrive à point nommé pour tenter d’établir le bilan d’un épisode non
négligeable de l’histoire intellectuelle française. L’ouvrage qui se présente
sous la forme d’un entretien (avec François Bousquet) débute par un premier
chapitre clairement autobiographique. Si les lecteurs réguliers d’Alain de
Benoist y trouveront des éléments plus ou moins intéressants sur sa famille et
son enfance, les autres jugeront cette introduction plutôt rébarbative. On
retiendra que cet enfant solitaire et discret, issu d’une famille de la moyenne
bourgeoisie, a été très tôt atteint d’un désir insatiable de connaissance qui
s’apparentait parfois à une boulimie intellectuelle : cinéma, littérature,
musique, etc. Passé ce chapitre, commence la véritable autobiographie d’Alain
de Benoist tant sa destinée épouse le domaine des idées ; autrement dit,
son chemin de vie est d’abord et avant tout un chemin de pensée que l’on peut
diviser en trois périodes successives.
Le temps de l’action
Les entretiens qui ont accompagné la sortie de l’ouvrage ont
parfois laissé l’impression que de Benoist relativisait beaucoup son engagement
de jeunesse au sein de la droite radicale française ; engagement qu’il
limite à 5 années (de 16 à 23 ans), ce qui nous paraît assez discutable dans le
sens où les débuts du GRECE s’inscrivent très clairement dans le sillage de la
droite radicale.
Heureusement,
Mémoire vive n’opère pas une relecture de ce passé quelque peu
encombrant et situe sans ambiguïté son auteur dans la galaxie de l’extrême
droite. Il serait d’ailleurs difficile de le nier tant les auteurs revendiqués
(Maurice Barrès, Alexis Carrel, etc.), les personnalités rencontrées (Pierre
Sidos, Dominique Venner, Jean Mabire, etc.) que les groupes investis
(Fédération des étudiants nationalistes et Europe-Action) appartiennent au
segment le plus radical de la droite. Dès lors, on peut difficilement partager
le sentiment de Michel Bousquet lorsqu’il s’interroge sur le concours de
circonstances qui a fait d’Alain de Benoist quelqu’un de droite, soit « la
rencontre d’un vieil homme [Henry Coston] qui cherchait un peu d’aide et d’un
jeune homme qui cherchait à écrire » (p. 62). Quand on connaît le passé
antisémite du vieil homme, acharné à bien des égards, on aurait aimé en savoir
un peu plus sur cette rencontre et surtout sur l’influence qu’elle a pu avoir
sur un jeune homme de 16 ans.
En
tout état de cause, de Benoist ne fait pas mystère de son passé de militant
nationaliste révolutionnaire qui, dans le contexte des années 1960, lorgne du
côté de l’OAS et de l’activisme armé. Il en retient la vigueur de l’idéal et la
rigueur de la discipline tout en regrettant les idées « assez
courtes », dont le racisme qui fut la « grande erreur
d’Europe-Action » (p. 78). Avec celui qui apparaît comme l’un de ses plus
proches compagnons d’armes, François d’Orcival (futur directeur de Valeurs
actuelles !), il coordonne plusieurs feuilles de liaison, rédige ses
premiers articles et entame une série de voyages en France et à l’étranger qui
en font, déjà, un intellectuel organique. Les rencontres, dont celle
déterminante de Louis Rougier, finissent de le persuader de la nécessité du
combat intellectuel. En 1966, il tourne définitivement le dos à l’action
politique et à l’extrême droite dont les contours idéologiques lui semblent
bien friables au regard du monde qui vient. Commence alors, à l’âge de 23 ans,
une nouvelle vie qui, tout en plongeant ses racines dans l’ancienne, tente de
frayer de nouveaux chemins.
(à suivre)
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