"Il arrive des époques où les nations se
sentent tourmentées de maux si grands, que l’idée d’un changement total dans
leur constitution politique se présente à leur pensée. Il y en a d’autres où le
malaise est plus profond encore, et où l’état social lui-même est compromis. C’est
le temps des grandes révolutions et des grands partis.
Entre ces siècles
de désordre et de misères, il s’en rencontre d’autres où les sociétés se
reposent et où la race humaine semble reprendre haleine. Ce n’est encore là, à
vrai dire, qu’une apparence ; le temps ne suspend pas plus sa marche pour
les peuples que pour les hommes ; les uns et les autres s’avancent chaque
jour vers un avenir qu’ils ignorent ; et lorsque nous les croyons
stationnaires, c’est que leurs mouvements nous échappent. Ce sont des gens qui
marchent ; ils paraissent immobiles à ceux qui courent.
Quoiqu’il en
soit, il y a des époques où les changements qui s’opèrent dans la constitution
politique et l’état social des peuples sont si lents et si insensibles, que les
hommes pensent être arrivés à un état final ; l’esprit humain se croit
alors fermement assis sur certaines bases et ne porte pas ses regards au-delà d’un
certain horizon.
C’est le temps
des intrigues et des petits partis.
Ce que j’appelle les grands partis politiques
sont ceux qui s’attachent aux principes plus qu’à leurs conséquences ; aux
généralités et non aux cas particuliers ; aux idées et non aux hommes. Ces
partis ont, en général, des traits plus nobles, des passions plus généreuses,
des convictions plus réelles, une allure plus franche et plus hardie que les
autres. L’intérêt particulier, qui joue toujours le plus grand rôle dans les
passions politiques, se cache ici plus habilement sous le voile de l’intérêt
public ; il parvient même quelquefois à se dérober aux regards de ceux qu’il
anime et fait agir.
Les petits partis
au contraire sont en général sans foi politique. Comme ils ne se sentent pas
élevés et soutenus par de grands objets, leur caractère est empreint d’un
égoïsme qui se produit ostensiblement à chacun de leurs actes. Ils s’échauffent
toujours à froid ; leur langage est violent, mais leur marche est timide
et incertaine. Les moyens qu’ils emploient sont misérables comme le but même qu’ils
se proposent. De là vient que quand un temps de calme succède à une révolution
violente, les grands hommes semblent disparaître tout à coup et les âmes se
refermer sur elles-mêmes.
Les grands partis
bouleversent la société, les petits l’agitent ; les uns la déchirent et
les autres la dépravent ; les premiers la sauvent quelquefois en l’ébranlant,
les seconds la troublent toujours sans profit."
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